vendredi, juin 20, 2014

SOUMIA FERGANI : Une belle histoire de femme arbitre....

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans ,

 

 

 

Première femme arbitre de football, Soumia Fergani est aujourd’hui députée et membre d’honneur de la Fédération algérienne de football. Nous l’avons rencontrée à quelques heures de son départ pour le Brésil.

Mardi 3 juin. A la sortie de l’hémicycle, Soumia Fergani s’enquière de la performance de l’équipe nationale face à la Roumanie : «On en est où du score ?» Nul ne parierait que derrière le tailleur sombre et les stilettos se cache une passionnée de football. Mieux que ça : la première femme arbitre de l’histoire de l’Algérie. Elle n’avait pas vraiment le choix avec la famille qui est la sienne. Le stade de Berrouaghia, la commune de Médéa où elle est née, porte le nom de son oncle, chahid et ex-footballeur. Ses trois frères taquinent la balle dès le plus jeune âge. «J’ai toujours aimé ce sport. J’ai commencé à jouer très tôt», se souvient Soumia.
Le bac en poche, la jeune femme prend la route de Blida pour une licence de littérature anglaise. Dans ses valises : des manuels scolaires et la volonté de s’impliquer davantage dans sa passion. Elle pousse la porte de la Ligue de football de Blida : «Je suis arrivée blindée ! J’avais bien vérifié avant de m’y rendre que rien n’interdisait à une femme de s’y inscrire.» L’étudiante détonne dans un milieu majoritairement masculin. D’autant que le maillot sur lequel elle lorgne n’est pas celui du joueur mais celui de l’arbitre. «Quand je regardais un match, j’étais fascinée par son rôle et par les tâches qui lui sont confiées, raconte-t-elle. Sur le terrain, il est le garant de la règle.»
En parallèle de ses études, Soumia entame une formation pour devenir «le troisième homme». Chaque année, elle passe le test de Cooper, un examen qui mesure la distance maximale qu’une personne peut parcourir en douze minutes. «Parce qu’un arbitre court au minimum huit kilomètres par match», explique-t-elle. Aux tests physiques s’ajoutent les épreuves théoriques : «On étudie les règles, on apprend comment gérer une rencontre, avoir une bonne entente avec l’arbitre assistant. Les gens ne le savent pas forcément, mais on juge par écrit nos connaissances des règles.»


Terrorisme
Soumia est studieuse et commence très vite à arbitrer ses premières rencontres. «J’ai commencé par la catégorie des poussins. Logée à la même enseigne que les arbitres hommes qui étaient avec moi !» rappelle-t-elle fièrement. Outre l’arbitrage, Soumia donne un coup de main à ses copines de l’université qui veulent former une équipe féminine et disputer les tournois nationaux. La bande utilise la salle de sport de la cité universitaire pour s’entraîner après les cours. Soumia se propose comme gardien de but : «Pour rendre service. Je n’étais pas très bonne.»
Suffisant toutefois pour taper dans l’œil des instances fédérales. Soumia Fergani devient la première gardienne de but de la première équipe nationale féminine de football. La pionnière des crampons sillonne les 48 wilayas. Nous sommes dans les années 90. Les années de braise. «Je n’ai jamais arbitré un seul match sans la présence des services de sécurité», précise-t-elle. La présence d’une femme sur le gazon dérange les conservateurs. Soumia découvre la terreur : «J’avais peur en entrant sur certains terrains. Surtout quand on se fait siffler. Quand on entend des remarques du type : “Rentre chez toi faire à manger !“»
La jeune femme ne se laisse pas faire. Bagarreuse, elle tire sa plus grande satisfaction de ces matchs où des supporters hostiles finissent par saluer sa performance. Les joueurs, eux, sont beaucoup moins machistes : «Quand j’ai commencé à arbitrer chez les juniors, certains faisaient le double de ma taille. Une fois que je commençais à siffler et à faire respecter les règles, ils oubliaient bien vite ma condition de femme.»

Députée
En tout et pour tout, Soumia Fergani aura officié dans les stades pendant onze ans. Dont sept avant même la reconnaissance officielle du football féminin. «Et je suis arrivée jusqu’au niveau fédéral»  s’enorgueillit-elle. En 2003, elle arbitre son tout dernier match. Sa vie a déjà pris un autre tournant. Hôtesse de l’air depuis quelques temps, Soumia se partage entre l’Algérie et la Belgique. L’arbitrage n’est plus qu’une escale entre deux vols. Son agenda chargé la contraint à raccrocher les crampons. «Et puis à un certain âge il faut savoir se retirer, philosophe-t-elle. J’avais eu l’honneur d’arbitrer trois finales de coupe féminine, d’être sélectionnée en tant que gardien de but d’une équipe nationale…»
Repue, Soumia s’installe à Bruxelles. Elle y passe 14 ans. Gravit les échelons. Construit un réseau. Devient la coqueluche des médias belges quand il s’agit de commenter l’actualité algérienne. En 2011 vient l’heure des doutes. Soumia Fergani s’accorde une année sabbatique pour faire le point sur ses envies. Un jour, alors qu’elle discute avec l’une de ses sœurs dans la maison familiale de Berrouaghia, un inconnu frappe à la porte. L’homme récolte des signatures en vue des législatives de 2012. «Pourquoi pas moi ?» se dit Soumia.
Elle se lance bille en tête dans une campagne électorale. Au culot, comme à son arrivée à Blida. Le 10 mai au soir, la voilà députée de la République algérienne. Celle qui faisait respecter les règles sur le terrain est désormais en charge de les écrire à l’Assemblée populaire nationale. Son audace - et son CV - lui valent d’être repérée par Amar Ghoul. Le ministre vient alors de créer son parti. Il la charge de la communauté et des affaires extérieures du TAJ. Une sorte de troisième mi-temps.
Source : elwatan