Première femme arbitre de football, Soumia Fergani est aujourd’hui députée et membre d’honneur de la Fédération algérienne de football. Nous l’avons rencontrée à quelques heures de son départ pour le Brésil.
Le bac en poche, la jeune femme prend la route de Blida pour une
licence de littérature anglaise. Dans ses valises : des manuels
scolaires et la volonté de s’impliquer davantage dans sa passion. Elle
pousse la porte de la Ligue de football de Blida : «Je suis arrivée
blindée ! J’avais bien vérifié avant de m’y rendre que rien
n’interdisait à une femme de s’y inscrire.» L’étudiante détonne dans un
milieu majoritairement masculin. D’autant que le maillot sur lequel elle
lorgne n’est pas celui du joueur mais celui de l’arbitre. «Quand je
regardais un match, j’étais fascinée par son rôle et par les tâches qui
lui sont confiées, raconte-t-elle. Sur le terrain, il est le garant de
la règle.»
En parallèle de ses études, Soumia entame une formation pour devenir
«le troisième homme». Chaque année, elle passe le test de Cooper, un
examen qui mesure la distance maximale qu’une personne peut parcourir en
douze minutes. «Parce qu’un arbitre court au minimum huit kilomètres
par match», explique-t-elle. Aux tests physiques s’ajoutent les épreuves
théoriques : «On étudie les règles, on apprend comment gérer une
rencontre, avoir une bonne entente avec l’arbitre assistant. Les gens ne
le savent pas forcément, mais on juge par écrit nos connaissances des
règles.»
Terrorisme
Soumia est studieuse et commence très vite à arbitrer ses premières
rencontres. «J’ai commencé par la catégorie des poussins. Logée à la
même enseigne que les arbitres hommes qui étaient avec moi !»
rappelle-t-elle fièrement. Outre l’arbitrage, Soumia donne un coup de
main à ses copines de l’université qui veulent former une équipe
féminine et disputer les tournois nationaux. La bande utilise la salle
de sport de la cité universitaire pour s’entraîner après les cours.
Soumia se propose comme gardien de but : «Pour rendre service. Je
n’étais pas très bonne.»
Suffisant toutefois pour taper dans l’œil des instances fédérales.
Soumia Fergani devient la première gardienne de but de la première
équipe nationale féminine de football. La pionnière des crampons
sillonne les 48 wilayas. Nous sommes dans les années 90. Les années de
braise. «Je n’ai jamais arbitré un seul match sans la présence des
services de sécurité», précise-t-elle. La présence d’une femme sur le
gazon dérange les conservateurs. Soumia découvre la terreur : «J’avais
peur en entrant sur certains terrains. Surtout quand on se fait siffler.
Quand on entend des remarques du type : “Rentre chez toi faire à
manger !“»
La jeune femme ne se laisse pas faire. Bagarreuse, elle tire sa plus
grande satisfaction de ces matchs où des supporters hostiles finissent
par saluer sa performance. Les joueurs, eux, sont beaucoup moins
machistes : «Quand j’ai commencé à arbitrer chez les juniors, certains
faisaient le double de ma taille. Une fois que je commençais à siffler
et à faire respecter les règles, ils oubliaient bien vite ma condition
de femme.»
Députée
En tout et pour tout, Soumia Fergani aura officié dans les stades
pendant onze ans. Dont sept avant même la reconnaissance officielle du
football féminin. «Et je suis arrivée jusqu’au niveau fédéral»
s’enorgueillit-elle. En 2003, elle arbitre son tout dernier match. Sa
vie a déjà pris un autre tournant. Hôtesse de l’air depuis quelques
temps, Soumia se partage entre l’Algérie et la Belgique. L’arbitrage
n’est plus qu’une escale entre deux vols. Son agenda chargé la contraint
à raccrocher les crampons. «Et puis à un certain âge il faut savoir se
retirer, philosophe-t-elle. J’avais eu l’honneur d’arbitrer trois
finales de coupe féminine, d’être sélectionnée en tant que gardien de
but d’une équipe nationale…»
Repue, Soumia s’installe à Bruxelles. Elle y passe 14 ans. Gravit les
échelons. Construit un réseau. Devient la coqueluche des médias belges
quand il s’agit de commenter l’actualité algérienne. En 2011 vient
l’heure des doutes. Soumia Fergani s’accorde une année sabbatique pour
faire le point sur ses envies. Un jour, alors qu’elle discute avec l’une
de ses sœurs dans la maison familiale de Berrouaghia, un inconnu frappe
à la porte. L’homme récolte des signatures en vue des législatives de
2012. «Pourquoi pas moi ?» se dit Soumia.
Elle se lance bille en tête dans une campagne électorale. Au culot,
comme à son arrivée à Blida. Le 10 mai au soir, la voilà députée de la
République algérienne. Celle qui faisait respecter les règles sur le
terrain est désormais en charge de les écrire à l’Assemblée populaire
nationale. Son audace - et son CV - lui valent d’être repérée par Amar
Ghoul. Le ministre vient alors de créer son parti. Il la charge de la
communauté et des affaires extérieures du TAJ. Une sorte de troisième
mi-temps.
Source : elwatan