jeudi, juillet 17, 2014

FOOTBALL : Ils voient des mains partout...

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans ,






Ils voient des mains partout


C'est un des signes les plus patents à la fois de la méconnaissance des règles et de la crétinisation des polémiques arbitrales, et les exemples en pullulent chaque semaine. Toute "main" dans la surface non suivie d'une sanction de l'arbitre devient une "main non sifflée" et donc par cette opération magique, un "penalty oublié" – c'est-à-dire une erreur de l'arbitre.


OBSÉDÉS MANUELS

Prenons le compte-rendu du derby Lyon-Saint-Étienne du 30 mars 2014. L'auteur de l'article principal, Vincent Duluc (une référence dans le métier), avait déjà trahi, il y a quelques mois au cours d'un échange avec un de ses confrères sur Twitter, son interprétation toute personnelle de la règle du hors-jeu. Il n'a manifestement pas, depuis, révisé les 17 lois du jeu. Le "penalty oublié" par l'arbitre sur une "main décollée et flagrante" fait partie d'une "invraisemblable série d'erreurs arbitrales fatales". Le problème est d'une part que, toute "flagrante" soit-elle, une main n'est sanctionnable que si elle est considérée comme intentionnelle. C'est la règle.


D'autre part, justement, cette notion de "bras décollé du corps" fait partie de ces idées fausses dramatiquement répandues et assimilées à tort à la règle, alors qu'elle ne constitue qu'un des éléments que l'arbitre doit "prendre en considération" (on cite la règle) pour juger de l'intentionnalité du geste, avec également le mouvement de la main vers le ballon ou la distance parcourue par ce dernier. Une main "décollée" ne détermine pas en soi de siffler une faute. Le bon sens – mieux que la règle – devrait suffire à le faire comprendre. S'il fallait suivre nos obsédés manuels, il faudrait accorder des palanquées de penalties pour des mains complètement accidentelles. Mais aucun ne pousse aussi loin la réflexion.

ALLUMER LA "FLEMME"

S'il faut déjà une bonne dose d'indulgence pour passer à un spécialiste présumé une telle méconnaissance des fondamentaux du sport qu'il commente depuis trente ans, que dire du fait qu'il va "angler" son article sur cette décision de l'arbitre? Figurez-vous que le match "aurait pu finir autrement si M. Buquet [NdA: en football, on appelle "monsieur" les arbitres, cache-sexe du mépris dont on les accable par principe] n'avait pas oublié une main de Bayal dans la surface". Bravo champion, tu es notre Captain Obvious de la semaine. La prochaine fois, on s'attend à "Si Machin avait marqué, il y aurait eu but."

Au-delà, il s'agit de bien avoir conscience de l'alignement de tant de journalistes sur la capacité de recul de l'entraîneur vaincu, dont au moins il y a quelque logique (celle de son dégagement de responsabilité) à le voir, lui, adopter un raisonnement aussi infantile. De la part de l'expert en question, il ne s'agit que de démagogie et de flemme intellectuelle.

Attention, démagogie et flemme qui n'ont strictement rien de spécifique à celui-ci en particulier (d'ailleurs l'immense Jean-Michel Larqué, vingt ans de carrière de joueur, trente de consultant, a proféré la même ânerie récemment), ni à son journal : prenez cet articulet de 20 Minutes, qui abonde exclusivement dans le sens des perdants du soir, et se conclut sur une petite lâcheté aussi sinistre qu'elle se voulait drôle : "Une rencontre [Lyon-Juventus] pour laquelle l'OL aura l'assurance de ne pas être dirigé par un arbitre français..."

INTOXICATION MASSIVE

Eh oui, mesdames et messieurs, les arbitres français sont nuls (disent, unanimes, des gens qui ne connaissent ni les règles ni le principe de l'arbitrage). Ils sont nuls… même quand ils prennent des décisions parfaitement légitimes. Parce que le choix de ne pas accorder de penalty était en l'espèce parfaitement légitime.

Et là, au risque de plonger Vincent, Pierre et les autres – en les extirpant de leur pensée binaire – dans un vertige existentiel dont peut-être ils ne se remettraient jamais, on affirmera aussi qu'accorder ce penalty n'aurait rien eu de scandaleux non plus. Car entre les cas de mains volontaires ou involontaires les plus patentes, se trouve une large part de situations ambigües, indiscernables, sujettes à interprétation et donc à désaccord. Arbitrer, dans ces nombreux cas-là, c'est estimer, interpréter, trancher.

En refusant de comprendre ce principe, nos procureurs en charentaises peuvent voir des erreurs arbitrales partout. Ils sont toujours gagnants. C'est sifflé? C'est une erreur! Ce n'est pas sifflé? C'est une erreur! Pendant ce temps, ils ne se fatiguent pas à parler de jeu, de tactique, des mille autres faits et gestes qui ont agi sur le résultat final. Leurs obsessions contribuent à une vision imbécile de l'arbitrage (mais aussi du football), ils intoxiquent leurs vastes audiences avec leur propre ignorance? Aucune importance, ils restent assis sur leur confortable rente, assurés d'être approuvés et suivis.

UN PEU DE RELECTURE

Allez, tout espoir n'est pas perdu et le tableau n'est pas si univoque, en vérité. Depuis une ou deux saisons, on perçoit ici et là le souci de moins s'appesantir sur chaque décision arbitrale, de concevoir qu'elle peut être discutable sans être erronée, de considérer l'arbitrage est affaire d'interprétation. On entend même des commentateurs ou consultants rappeler ce que dit, en réalité, la règle.

Eric Di Meco, consultant très plaisant sur beIN Sport a, il y a quelques jours et dans le même mouvement sur RMC, reconnu s'être fourvoyé sur cette règle des "mains", et rappelé sa véritable teneur. "Nous ne connaissons pas les règles du football, moi le premier! Depuis que je commente les matches, je me suis fait choper une fois au début. Je suis allé voir les règles. Il y a une légende dans le foot que tout le monde véhicule mais la vraie règle de la main dans la surface, c’est la première règle de la loi 12. C’est main intentionnelle dans la surface : penalty ! S’il n’y a pas d’intentionnalité : pas de penalty. Comme il y avait trop d’interprétations, ils ont rajouté des trucs comme main décollée du corps mais s’il n’y a pas intentionnalité, il n’y a pas de faute." Merci à lui. Tout à sa vindicte, l'entraîneur lyonnais Rémi Garde a eu un éclair de lucidité involontaire, dimanche: "Si tout le monde pense qu’il n’y a pas main, eh bien il n’y a pas main. On va peut-être relire les règlements." Puisse-t-il mettre sa menace à exécution.

Source : LE MONDE