samedi, septembre 27, 2014

Colloque "PERF ARBITRAGE" : Entretien avec Tony CHAPRON

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans , , , , , ,

Sujet souvent polémique, l’arbitrage a, pour la première fois, et pendant trois jours, du 22 au 24 septembre 2014, fait l’objet d’un colloque organisé par le PERF Arbitrage de l’Université Blaise Pascal, avec des débats entre des scientifiques internationalement reconnus, des experts et des acteurs de terrain.

Avec une ambition double : dresser un panorama de l’actualité de la recherche sur l’arbitrage sportif et identifier les enjeux et perspectives de son développement.

Entretien avec Tony Chapron, célèbre arbitre français de football, qui est intervenu lors de ce colloque.





M. Chapron, vous êtes l’invité d’un colloque international inédit sur l’arbitrage "First International Conference on the Science and Practice of Sports Refereeing", qui favorise les échanges entre des scientifiques internationalement reconnus, des experts et des acteurs de terrain. ? Que pensez-vous de cette initiative ?

Cette initiative de l’Université Blaise Pascal (et de Géraldine Rix) est vraiment très intéressante. Elle permet de mettre en relation des chercheurs du monde entier qui travaillent sur l’arbitrage en général et les arbitres en particulier. C’est un échange très riche tant sur les thématiques abordées, que sur les méthodes utilisées. Il y a des cultures différentes et cela rappelle aussi que l’arbitrage est d’abord une activité humaine et donc culturellement dépendante. En tant qu’arbitre, cela me paraît indispensable d’avoir cette ouverture vers les scientifiques qui essaient de mieux comprendre la pratique de l’arbitrage et de leur apporter mon éclairage d’arbitre en activité. Il est probable que ma culture universitaire est un élément qui favorise cette ouverture d’esprit.



Pouvez-vous nous préciser le contenu en quelques mots de votre intervention " The referee, the moral guardian of the game" ?

L’idée était de créer un débat autour de quelques questions. Tout d’abord, s’interroger sur l’absence d’arbitre aux origines du jeu. Puis, de proposer une approche de la fonction arbitrale comme la caution morale du jeu. L’arbitre ayant pour mission de porter l’éthique du jeu au cœur du jeu mais aussi de modéliser des valeurs morales transposables à la société. Une sorte de procès de civilisation par le sport via l’arbitre. On pouvait aussi s’interroger sur la place des joueurs dans la construction de l’éthique du jeu et proposer que les joueurs deviennent des acteurs à part entière de la construction d’une éthique.
La question finale était : Avons nous encore besoin d’arbitre ?

Le PERF Arbitrage a mis en place en 2007 le diplôme universitaire " Sport de haut-niveau et arbitrage ", c’est un plus pour les arbitres d’aujourd’hui ?

Ce diplôme est l’occasion pour les arbitres de découvrir un univers universitaire et de recherche dont ils ne connaissent pas la richesse. C’est aussi une opportunité de partager avec des arbitres d’autres disciplines (rugby, handball ou basket) une vision de la fonction. Nous partageons des expériences, des situations de jeu, de management.
C’est très intéressant et tous les arbitres, quel que soit leur niveau, apportent des éléments qui enrichissent les compétences des uns et des autres. Il y a aussi une excellente ambiance au sein de la promotion. Et contrairement à l’image que peuvent véhiculer les arbitres, on rit beaucoup.

Cela fait une vingtaine d’années que vous arbitrez en France et à l’international, y-a-t’il eu des évolutions marquantes ? La vidéo par exemple ?

Les principales évolutions concerne l’environnement du football et sa médiatisation. Le développement phénoménal des conditions de diffusion télévisuelle des matches de football est l’une des principales évolutions. Ajoutons les émissions quotidiennes qui traitent du football et vous comprendrez que la médiatisation de l’arbitre devient un élément de ce dispositif médiatique.
Parallèlement, l’arbitrage a beaucoup évolué. Quoiqu’on en dise. La préparation athlétique est aujourd’hui un élément central de la performance des arbitres. Nous sommes sur ce point dans une véritable logique de professionnalisation.
Par ailleurs, de nouveaux outils sont apparus : le système de communication par oreillettes, l’introduction des arbitres additionnels, la goal line technology (qui n’a rien à voir avec la vidéo faut-il le préciser). Nous ne sommes pas dans l’immobilisme.
Quant à la vidéo que d’aucuns considèrent comme la solution miracle, elle est à mon sens une mauvaise solution. J’ai conscience que cet argument n’est pas très populaire. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire ce n’est pas pour protéger les arbitres que je dis cela mais d’un point de vue philosophique. Ce que Gilles Deleuze appelle la société du contrôle total est quelque chose d’assez effrayant. Et la vidéo est un élément de ce contrôle permanent. Seulement personne ne s’interroge sur ce que cela signifie et augure. C’est donc une posture de citoyen plus que d’arbitre qui m’amène à considérer la vidéo comme une solution liberticide.



Les arbitres étant souvent critiqués en France, est-ce encore difficile pour vous, malgré votre expérience, d’entrer sur le terrain avec la pression de certains grands matchs ?

Les arbitres français, comme tous les arbitres du monde, sont critiqués. Et cela fait malheureusement partie de la condition de l’arbitre. En devenant arbitre, on prend rapidement conscience que la fonction est ingrate et rarement positive. Il faut donc accepter d’être impopulaire et de prendre des décisions impopulaires. Cela s’appelle le courage. C’est pour moi ce qui caractérise le plus les arbitres, toutes disciplines confondues.
Il est en revanche très populaire (populiste) de critiquer les arbitres. Seulement assez peu de leurs détracteurs auraient le courage de prendre un sifflet pour arbitrer un match même amateur.
Quant à la pression, elle existe bien évidemment. Mais c’est la pression du sportif qui entre sur le terrain pour accomplir la meilleure performance possible. Les arbitres sont très exigeants vis à vis d’eux mêmes et leur remise en question est permanente. Lors des échanges entre arbitres de rugby, basket, handball ou foot, on constate les mêmes comportements : des insomnies après les matches (on refait le match dans sa tête), des variations dans le comportement vis à vis de ses proches en fonction des erreurs commises ou non lors du match du weekend. Le moral des arbitres est très affecté par leur performance et ils sont seuls à faire face à l’échec, l’erreur ou le succès. Les joueurs travaillent en groupe et bénéficient du soutien de leur coach ou de leurs partenaires, l’arbitre est un solitaire qui affronte les éléments souvent contraires avec son seul courage et sa passion pour le sport.
Quant à moi, ce n’est pas difficile d’entrer sur la pelouse. Ce qui sera difficile ce sera de ne plus y entrer. Je le fais avec la même passion mais avec une expérience qui sert de carapace à la critique. Cela n’empêche aucunement l’autocritique et la remise en question mais l’expérience forge aussi quelques certitudes.

Source : Université BLAISE PASCAL de CLERMONT-FERRAND


Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est le PERF ARBITRAGE, nous leur conseillons la lecture de la vidéo ci-dessous :

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