lundi, septembre 08, 2014

"Nous les avons tant aimés" - Gérard BIGUET : L'intégrité à l'état pur !!

Il a recueilli un compliment de Sir Cantona him self : « Qu’est-ce que vous pouvez galoper aujourd’hui ! » Il s’est brouillé avec le bouillant Luis Fernandez durant une rencontre: « "Je ne te parle plus !" A vrai dire, j’étais plutôt content d’avoir la paix jusqu’à la fin du match… » Il a regagné le rond central de Geoffroy-Guichard en conversant avec le numéro 10 des Verts de l’époque, un certain Michel Platini, au terme d’une action typiquement stéphanoise : « Je lui ai dit : le foot, c’est simple parfois. » Il a été témoin du génie de Diego Maradona dans son jardin napolitain du stade San Paolo, là où des supporters voyaient en un petit homme presque un demi-dieu : « Ce jour-là, sur sa première action, il a réalisé une passe en coup du foulard… » Il a assisté aux prémices du plasticage à la mode corse en essuyant quelques bombes agricoles dans la furie du stade Furiani de Bastia : « Les joueurs visiteurs devaient avoir le coeur bien accroché. » N’importe quel porteur du virus du ballon rond voit son état s’aggraver en la présence de Gérard Biguet. Car rien ne prépare au choc de la rencontre.

C’est au sein du domicile familial, situé à Conflans, que l’homme
échappait à la pression de son activité.

A son domicile de Conflansen-Jarnisy, l’ex-arbitre n’exhibe pas cette vie passée sur les plus beaux théâtres de verdure de la planète. Seuls quelques vestiges subsistent, comme ce fanion d’une finale de Coupe de France incrusté de son nom et épinglé anonymement à côté d’un tableau égyptien. Une photo l’immortalisant en action traîne négligemment près du téléviseur. Une longue poésie à la gloire de l’arbitrage (« Le cadeau d’une voisine ») interpelle tout au plus l’œil. Lorsqu’on lui demande quelques clichés de son activité passée, dix bonnes minutes s’écoulent avant de les débusquer.

Tel père, tel fils
Ce voile de pudeur colle finalement bien à la personnalité du "premier" Gérard Biguet : « Plus jeune, et même maintenant encore, j’ai toujours été plutôt effacé. Lorsque je passais à la télé, des amis demandaient à ma mère si c’était bien leur fils qui arbitrait. » Il s’en amuse. Il se connaît. Arbitre davantage porté « sur le dialogue que sur la répression », il a toujours eu l’image d’un homme droit. Un certain Bernard Tapie, du temps de sa forme olympienne à l’OM, ne le portait pas dans son coeur. Plutôt bon signe : « Il a tout fait pour que je n’arbitre pas un Paris-Marseille. D’ailleurs peut-être avait-il raison puisque son équipe s’est inclinée 2-1 avec un penalty pour le PSG… »

En décortiquant le parcours de ce natif de Briey, il était écrit qu’il siffloterait sur les pelouses de l’élite. « Mon père était arbitre au plus haut niveau régional, j’ai donc toujours baigné dans ce milieu. » L’acte de naissance de sa carrière se révèle toutefois plus exotique que cette simple filiation naturelle : « Un jour, alors que je jouais en district à Jarny, je fus expulsé. Après ça, j’ai troqué mes crampons de joueur pour ceux d’homme en noir. » Gérard Biguet a 21 ans et débute à Briey au plus bas de l’échelon. Le football rural fleure alors bon l’authenticité.

Sa réputation d’arbitre intègre lui a toujours collé à la peau. D’où
l’animosité nourrie à son égard par quelques modèles de probité
comme Bernard Tapie, du temps de sa forme olympienne
 Il y fait ses armes, apprend patiemment son métier tout en gravissant les échelons : de 1974 à 1980, les portes de la D4, D3 et D2 s’ouvrent. En 1979, les premiers pas dans l’élite. Un Laval-Nice qui restera à jamais gravé dans sa mémoire («Même avec Alzheimer, on s’en souviendrait »). Les premières intimidations. Le Niçois Bousdira, un poète, le tance : « Je le rappelle à l’ordre. A la fin du match, il me demande : "C’est votre premier match ? Et bien je peux vous dire que ce ne sera pas le dernier". »

Gérard Biguet tout sourire avec à ses côtés Rudi Völler, l’artificier en chef de la Mannschaft.
Que de souvenirs pour cet arbitre originaire du Pays-Haut.


San Siro, le Nou Camp
Un joli compliment de footeux. Mieux, une prophétie : jusqu’en 1992 et un Euro en Suède, Gérard Biguet a officié comme arbitre central en France et à l’étranger. Des matches de Coupe d’Europe inoubliables dans lesplus belles enceintes de la planète : « J’ai arbitré à San Siro (Milan), au Nou Camp cinq fois (Barcelone) mais aussi à Wembley (Londres), le vrai Wembley, l’authentique. » Il fouille sa mémoire, un vrai trésor. Il en ressort un joyau : « La finale des Jeux Olympiques à Séoul, un formidable Brésil-URSS. Les Jeux, quelle ambiance ! »
En cette époque post-olympique, signalons que Gérard Biguet
a arbitré la finale des Jeux de Séoul.
Dans ce listing vertigineux manque une Coupe du monde. Lui préfère s’attarder sur une anomalie géographique : « Un Metz-Nancy. J’étais inscrit au crayon de papier mais un autre nom, écrit au stylo, a finalement recouvert le mien. A l’époque, on ne pouvait pas arbitrer des équipes de son secteur. » Une autre époque, où l’on conversait avec des présidents de clubs humains comme Claude Bez, Loulou Nicollin. Et non avec des consortiums qataris ou des veuves de milliardaires. Une autre époque où l’on parlait de francs, « où l’arbitrage ne menait pas à la fortune. Au maximum, on touchait 2 500 francs avec lesquels il fallait régler ses frais de déplacement et d’hébergement… » Rien à voir avec la dizaine de milliers d’euros des arbitres d’aujourd’hui : « Mais ma plus grande richesse, c’est celle d’avoir dirigé des matches aux quatre coins du monde. L’arbitrage m’a permis de me construire. Sans cela, je n’aurais pas fait carrière dans le milieu bancaire. Arbitrer des rencontres où la pression est énorme a révélé une autre facette de ma personnalité. » Le "deuxième" Gérard Biguet, en somme…

Entretien de Jean-Michel Cavalli
Source : LE RÉPUBLICAIN LORRAIN