mardi, novembre 04, 2014

FOOTBALL : Nous sommes plus de 215.000 chaque week-end sur les terrains...

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans , , , , , ,

"Bagarres, insultes, contestations... J'ai été arbitre de foot amateur. Je ne regrette rien"
Loin des lumières de la Ligue 1 et du football professionnel, près de 215.000 arbitres évoluent chaque weekend sur les terrains français. Paul Schmitt, 24 ans, a été l’un d’eux pendant deux saisons, arbitrant des équipes de jeunes amateurs en Île-de-France. Malgré les insultes, les tensions et parfois les bagarres, il en tire un bilan positif. Témoignage.

Pendant deux saisons, j’ai foulé presque tous les terrains des Hauts-de-Seine puis d’Île-de-France, des plus calmes aux plus hostiles. J’avais 22 ans, et les joueurs qui étaient face à moi en avaient à peine moins, entre 16 à 20 ans.

Ce serait mentir que de dire que l’atmosphère a toujours été calme et sereine, qu’aucune de mes décisions, même les plus anodines, n’ont pas été sujettes à réclamations et parfois à insultes. Au contraire.

Mais pendant ces deux années, les problèmes de violence ont heureusement été très rares. Manque de chance pour moi, c’est lors de mes débuts que j’ai fait face aux événements les plus graves…

Deux bagarres lors de mes deux premiers matches

Lors de mon premier match officiel, j’étais arbitre assistant. C’était une rencontre de niveau Excellence, entre les équipes de la Colombienne et d’Antony. Une rencontre a priori sans risque même si la Colombienne n’a pas toujours bonne réputation.

Pendant le match, un joueur a eu des échanges musclés avec un spectateur. Au coup de sifflet final, ça a dégénéré. Une partie du public est entré sur le terrain et une bagarre a suivi.

Dans ce genre de situation, les trois arbitres sont censés se regrouper et s’éloigner en vue d’observer ce qui se passe pour rédiger ensuite un rapport. La sécurité incombe alors aux délégués qui sont eux chargés d’appeler la police. Ce jour-là, je n’ai pas craint pour ma sécurité, mais nous avons tout de même été évacués du stade sous escorte. Drôle de première…

Le pire, c’est que le match suivant, à Courbevoie, a terminé de la même manière. Après un tacle en retard, deux joueurs en sont venus aux mains déclenchant une bagarre générale.

Là encore, la responsabilité du corps arbitral n’était pas en cause, personne ne s’en ait pris à nous, mais l’atmosphère m’a vraiment refroidi. Et j’ai pensé arrêter.

À chaque coup de sifflet, le bavardage est permanent

J’ai finalement continué. Je venais, en deux petits matches, de manger mon pain noir, puisque je n’ai plus jamais rencontré d’événement violent par la suite. Hormis un crachat d’un joueur alors que je plaçais un mur, et un "arbitre de merde" lancé par un autre, je n’ai ensuite eu qu'à faire à des "chamailleries".

À ce sujet, le mimétisme entre joueurs professionnels et joueurs amateurs est impressionnant. Même chaussure, même crampons, même attitudes lors d’une célébration de but et, malheureusement, même attroupement à peine avez-vous sifflé une faute.

La faute a beau être bénigne, en plein centre du terrain, sans impact sur la suite du match, Il y a toujours un ou deux joueurs pour contester (auquel il faut rajouter parfois des éducateurs), avec l’espoir de peser sur vos décisions.

Les insultés sur le terrain, elles, sont plus rares. Elles viennent davantage des tribunes. C’est rarement sympathique mais ce sont des insultes "génériques". On insultait plus ce que je représentais que ce que je suis.

On a le droit, parfois, à des touches d’originalité. Parce que je portais des lunettes, un spectateur a passé le match, un jour, à m’appeler Harry Potter…

Je suis allé à des matches la boule au ventre

Il m’est arrivé d’aller à des matches la boule au ventre. Car mine de rien, sur certains matches à fort enjeu, la pression est forte, même au niveau amateur. Psychologiquement, vous pensez au match du jeudi au lundi, c’est exténuant. Et le manque de soutien de la hiérarchie pèse.

Pour un match, on est indemnisé à hauteur de 65 à 75 euros, mais ce qui est frustrant, c’est le manque de soutien et la sensation d’être assez isolé, notamment en cas d’incident. Dans les commissions de discipline, parfois, on ne sent pas un soutien total, on met même en cause la version des arbitres pour protéger un club ami du district.

Être arbitre comporte un aspect administratif non négligeable : feuille de match à remplir en début et fin de rencontre, les éventuels rapports à envoyer à la commission en cas d'incident ou d'expulsion sur un carton rouge donné directement.

Malgré les tensions, je tire tout de même de ces deux années un bilan très positif. Le rôle d’arbitre m’a beaucoup appris. Avant, j’étais d’un naturel timide. Sur les terrains, je me suis affirmé, j’ai énormément appris sur la psychologie humaine, sur la manière d'agir au mieux pour préserver une atmosphère sereine : quand sanctionner ? Quand ne pas sanctionner ?


Être ferme mais sans jouer au cow-boy

L’arbitre idéal, c’est celui qui réussit à être ferme sans jouer au cow-boy ou à la police en "cartonnant" à tout-va. L’art subtil du dialogue avec les joueurs s’apprend au fil des matches. Avec l'expérience, on apprend aussi à maintenir la bonne distance avec les joueurs. Une chose est certaine : pour asseoir son autorité, le vouvoiement est indispensable.

Si les études n’avaient pas accaparées autant de mon temps, j’aurai sans doute continué. Les tensions vont parfois trop loin, certains comportements peuvent refroidir sur le coup, mais les bons moments sont de loin bien plus nombreux que les moments difficiles...

Source : LE NOUVEL' OBS - Propos recueillis par Sébastien Billard