samedi, novembre 01, 2014

FOOTBALL : Vive la violence sur les stades... qui comble notre pulsion guerrière


Je ne suis pas sûre, cette fois, d’être ­d’accord avec Raymond Domenech. L’ancien sélectionneur des Bleus se ­demandait, il y a deux semaines, sur le site du Monde, où Layvin Kurzawa avait « mis son cerveau ». Le défenseur de l’équipe de France espoirs s’était amusé à chambrer ses adversaires suédois après avoir marqué un but. Mais c’est notre société dite « civilisée » qui fait la propagande du héros sportif, agressif, insultant.

On dit que ce sont les joueurs qui se prennent pour des stars et qu’il faut les soigner. Mais nous aussi, on devrait passer à la casserole thérapeutique. Le culte que nous vouons à nos footballeurs, assaisonné de nationalisme, chauvinisme, patriotisme, régionalisme ou tout autre localisme, fabrique aussi les joueurs que nous avons.



Pulsion guerrière

C’est nous qui, en les érigeant sur un piédestal, les rendons frimeurs, cons, grattés de swag et accros aux selfies débiles narcissiques. On se projette… Oui, j’aime être dans les tribunes le soir d’un grand match, hurler avec la foule, sortir les drapeaux, pourquoi pas lancer des cailloux – si j’en avais – sur les ­adversaires et les arbitres, déclencher une ­bagarre générale sur la pelouse (mais qui connaissait le drapeau albanais avant l’irruption du drone lors du match en Serbie ?), faire la ola, reprendre en chœur des chants guerriers – et tant pis s’ils sont violents ou homophobes. Les avocats plaideront pour nous, comme pour Marseille jadis, « les circonstances culturelles locales », donc tout va bien, et les clubs corses peuvent continuer à mettre le feu aux poudres en sortant leurs banderoles à la tête de Maure.



Vive la violence dans les stades ! Elle comble une pulsion guerrière et quasi hormonale, c’est fondamental. J’ai vu un beau documentaire très troublant, Of Men and War, de Laurent Bécue-Renard, qui fait parler des soldats américains revenus d’Irak. Ils y mettent le temps, ce sont des hommes blessés, ­fragiles et abîmés. Redoublant d’efforts pour reconstruire une image d’eux-mêmes par l’entremise d’une thérapie de groupe, ils échappent ainsi au statut de victime, ce ­statut si pénible pour les personnages de ­cinéma. Ils ont fait beaucoup d’entraînements, de sport, mais les blessures les plus aiguës sont dans la tête.

Alors, quid des blessures de nos dieux du stade ? Si je me prends à rêver à une thérapie de groupe pour soigner tous les footeux atteints de narcissisme suraigu afin de les aider à se réinsérer plus tard dans le monde normal, ou tout simplement à atterrir, je pense que c’est sûrement aussi nous, les supporteurs, qu’il faut traiter. Alors il faudrait organiser des séminaires intensifs de groupes immenses. Des endroits où l’on ­apprendrait, par exemple, à utiliser à bon ­escient des mots comme « agressivité », ­ « liberticide », « anti-Corse », « anti-n’importe quoi d’autre »…


On n’est pas rendu : les noms d’oiseaux ­risquent de continuer à tomber sur les ­arbitres, et les Journées de l’arbitrage – organisées jusqu’au 6 novembre – n’y changeront rien. En attendant, dernier espoir pour les Espoirs déchus : la culture. Sur le compte Twitter de Layvin Kurzawa, on le voit en photo à l’Opéra de Monaco, beau comme un sou neuf, le regard perdu dans la ligne bleue des Vosges…

Source : LE MONDE, article par Patricia Mazuy