mardi, mars 31, 2015

LFP - LIGUE 1 : Nos arbitres de LIGUE 1 ne sont que des hommes...


Publié le 31/03/2015 -  À cause d’une erreur, les arbitres peuvent changer un match et déclencher la polémique. Leur quotidien s’en trouve aussi bouleversé. Ils racontent.

"Derrière l'arbitre, il y a un homme." On pourrait parler d'éléments de langage tant la phrase irrigue les témoignages. Sauf qu'ici, il est bien question de fendre l'armure et de raconter l'après-match. Celui qui, quand on est arbitre, existe en cas de boulettes, ces erreurs à la vue de tous qui font basculer une rencontre. Faut-il soutenir qu'elles sont de plus en plus nombreuses, notamment en Ligue 1? Les débats sur le sujet sont agités, mais pas moins que les lendemains du fautif. Surtout si le match est à fort enjeu et les équipes en pointe.



Il y a deux semaines, Lionel Jaffredo a essuyé la tempête à l'issue de Bordeaux-PSG, via Zlatan Ibrahimovic : "En quinze ans de carrière, je n'ai jamais vu un tel arbitre dans ce pays de merde!" Si l'affaire a dépassé le cadre du foot, la diatribe visait d'abord une passe en retrait bordelaise non sanctionnée vers le gardien. Le même jour, OM-Lyon se concluait par des insultes de Dimitri Payet, en raison d'un but valable refusé aux Marseillais par Benoît Bastien mais impossible à déterminer à l'œil nu.

Critique décomplexée

A chaque fois, le tourbillon s'enclenche dès le coup de sifflet final. S'ouvre une phase de communication de crise. Il s'agit de déterminer s'il est judicieux que l'arbitre s'exprime devant les micros pour justifier sa décision, voire pour reconnaître son erreur. Cela passe par un contact immédiat avec la Direction technique de l'arbitrage (DTA), chapeautée par Pascal Garibian depuis 2013. En règle générale, le silence médiatique est décrété : "Nous ne sommes pas là pour alimenter des polémiques. Mais à titre exceptionnel, il est possible de s'exprimer", cadre Garibian, qui a exigé de pouvoir viser les propos de ses hommes avant de les autoriser à s'exprimer dans nos colonnes. L'ancien policier n'interdit toutefois pas "le off auprès des médias, dans une démarche explicative". Un soir de match, la priorité est à l'échange avec les acteurs victimes de l'erreur, pour tenter d'éteindre le feu qui couve. Pour que s'ouvre le vestiaire des arbitres, une condition : le respect malgré la colère. Nouveau retraité et désormais cadre bénévole de la DTA, Laurent Duhamel se rappelle qu'il pouvait "accepter des propos durs, sévères même, du capitaine, de l'entraîneur ou du président. Une phrase comme "Vous n'avez pas été bon, du coup on perd 3 points", je peux l'entendre si on peut échanger derrière. Mais quand votre intégrité est remise en cause par des insultes, quand on parle de "vol" ou d'"arnaque", là, non, ça devient insupportable."


La critique est devenue d'autant plus décomplexée qu'aucun arbitre français n'a été retenu pour le Mondial 2014, une première depuis quarante ans. Et que la rémunération de la profession est devenue confortable : les 21 sifflets de L1 toucheront en moyenne quelque 83.000 euros brut cette saison.

"Tu diras à ton père qu'il est mauvais"

«Mais quand un enfant de 8 ans entend à l'école "Tu diras à ton père qu'il a été mauvais", ça devient plus dur à gérer»

Les heures qui suivent la boulette, dans le silence d'une chambre d'hôtel, ne sont pas moins pesantes. On regarde le DVD du match, mauvais film d'erreur. "Un arbitre est un homme seul. Il gamberge seul, rentre chez lui seul, pose Bruno Derrien, ancien international, dont la carrière a été "flinguée" par un malheureux Bordeaux-Lyon en 2005. J'ai l'impression que les attaques montent encore d'un cran aujourd'hui. Certains ont même droit à des comptes parodiques sur les réseaux sociaux." Comme Fredy Fautrel, dont une page Facebook milite pour qu'il "retourne arbitrer en CFA". Pas simple non plus pour l'entourage, qui a vite fait d'être touché par ricochet. M. Duhamel se souvient : "Il arrivait qu'on me regarde bizarrement au travail, mais c'était ma connerie, il fallait que j'assume. Mais quand un enfant de 8 ans entend à l'école "Tu diras à ton père qu'il a été mauvais", ça devient plus dur à gérer."Le week-end du match passé, vient l'heure des débriefings avec la hiérarchie. Chaque arbitre doit disséquer sa prestation via la plate-forme ifoot. Mis en place cette saison, cet outil numérique contient tous les matches. En pratique, l'arbitre sélectionne des situations de jeu et explique ses décisions à la DTA, qui lui répond. La plate-forme sert aussi à préparer la rencontre suivante en identifiant les axes tactiques, les placements sur corners, les attitudes dans le duel des joueurs, etc.

Si les désignations interviennent dix jours avant le match, une polémique qui prend corps dans l'intervalle peut chambouler le programme. Et générer la mise au repos d'un arbitre pris dans la tourmente. Ce cas extrême s'est produit une fois cette saison.

L'angoisse de la rétrogradation

Distributeur de trois cartons rouges en cinq minutes lors de Lens-PSG mi-octobre (1-3), dont un à Cavani qui avait mimé un tir de mitraillette après son but, Nicolas Rainville a essuyé une rafale de quolibets. Lui qui a pourtant officié à six reprises en Ligue des champions. La captation des piteuses excuses de Frédéric Thiriez, président de la Ligue, à Nasser Al-Khelaïfi ("I'm sorry for this terrible arbitrage") n'a rien arrangé.

«Il s'agit de protéger l'arbitre, pas de le sanctionner. La sanction, c'est le classement»

"A la DTA, on se doit de redonner confiance à l'arbitre et de déterminer s'il est judicieux ou pas de le faire souffler, relève Garibian. Cela s'apprécie au cas par cas, en évaluant la sérénité de l'intéressé. Il s'agit de protéger l'arbitre, pas de le sanctionner. La sanction, c'est le classement." Bâti en fonction des notes attribuées à chaque match par un observateur présent en tribune, ce classement est dévoilé en fin de saison. Un moment d'angoisse pour les arbitres, qui peuvent alors découvrir leur rétrogradation. Le vrai coup de grâce après la boulette.



Fredy Fautrel : "Ce match à Lyon m'a hanté jusqu'à la fin de la saison"


Le 16 mars 2014, lors du Lyon- Monaco de la saison dernière, Fredy Fautrel valide trois buts monégasques, tous entachés de hors-jeu. Lyon s'incline 2-3.

"Très rapidement, on a su qu'on avait commis des erreurs. Les délégués, les observateurs nous ont donné l'information. On a senti une tension, la polémique qui montait. J'ai téléphoné à Pascal Garibian [directeur technique de l'arbitrage] pour savoir si on communiquait. Il faut que ça reste rare mais là, c'était un match important, trois erreurs contre la même équipe… Je suis donc intervenu dans le Canal Football Club, en direct avec Jean-Michel Aulas. J'ai reconnu mon erreur. Il faut un certain courage pour dire devant la France entière : je n'ai pas été bon.

Après, c'est compliqué. À l'hôtel, on visionne les images. Deux fois, trois fois… On cogite : mais comment j'ai pu prendre cette décision? Qu'est-ce qui m'est passé par la tête? Comme un automobiliste qui n'aurait pas vu un piéton : l'être humain a parfois des blancs.

Ensuite, on se demande comment on va gérer ça. On vit avec l'angoisse des répercussions pour la famille. Mes parents habitent dans un petit village et ils n'ont pas été préparés à être interpellés publiquement sur la prestation de leur enfant. Après un Lens-Marseille [1-1, 15 octobre 2006], j'avais reçu des menaces de mort à mon domicile. En pleine nuit, on avait appelé chez moi alors que ma femme était seule avec les enfants.

Après ce Lyon-Monaco, on devait prendre le train. Le service de sécurité de l'OL m'avait conseillé de décaler mon départ, pour éviter une mauvaise rencontre à la gare. Le lendemain, j'ai encore échangé avec Pascal Garibian car j'étais désigné pour un match le week-end suivant à Marseille. On s'est interrogés : comme pour un attaquant qui fait des prestations en demi-teinte, le processus décisionnel peut être altéré. Finalement, j'ai été maintenu pour la rencontre suivante, cela a été une bonne aide morale. Mais ce match à Lyon m'a hanté jusqu'à la fin de la saison. Il reste le moment noir de ma carrière."


Sébastien Desiage : "Je n'en ai pas dormi de la nuit"


Sur le moment, les Caennais ont été extrêmement surpris de ma décision, mais les joueurs le sont souvent en pareil cas. Je sentais qu'ils étaient sincères mais j'étais certain d'avoir pris la bonne décision. En allant au bout de ma conviction, je devais sortir le carton rouge. J'ai aussi interrogé l'attaquant [Origi]. "Oui, il m'a déséquilibré", m'a-t-il dit…



Après le match, l'observateur de la DTA m'a informé qu'il n'y avait pas penalty. J'ai dû gérer les frustrations légitimes, notamment du coach [Patrice Garande], à qui j'ai proposé qu'on se voie au calme dans mon vestiaire. Le lendemain, je l'ai aussi appelé pendant vingt minutes. Le penalty était mon premier coup de sifflet de la seconde période. J'étais dans un temps faible psychologiquement, qui m'a conduit à mal me placer pour apprécier la situation. Garande a compris. Entre-temps, j'avais vu le DVD du match à l'hôtel, en allant directement à la 67e minute. Je n'ai pas dormi de la nuit. Dans ces cas-là, les images défilent en boucle. On se met à la place de l'équipe lésée, qui a le sentiment qu'on lui a volé un point. Pendant trois jours, mon esprit a été pollué. À l'instar d'un gardien qui fait un bon match mais se troue à la fin, on ne retient que ça.

Il faut être costaud et rebondir dès le match suivant, ce que j'ai su faire. Quand j'ai de nouveau été chargé d'arbitrer Caen [à Marseille, 27e journée], j'y ai repensé. J'en ai même plaisanté avec Appiah dans le couloir : "Dennis, désolé pour ce qui s'est passé en août, mais vous avez vu que j'ai essayé d'arranger un peu les choses [via un rapport qui a abouti à la levée du carton rouge]. Ce soir, ça va bien se passer, ensemble." Or, dès la 1re minute, j'ai sifflé un penalty contre Caen… J'entends encore certains : "C'est pas possible, vous nous en voulez!" Sauf que, cette fois, j'avais raison."

Source : LE JDD