Le Haut-Savoyard, qui dirigera ce samedi soir Strasbourg - Nice, est devenu en début de saison, à vingt-cinq ans, le plus jeune arbitre de l'histoire de la Ligue 1.
A priori, le Lille-Rennes (3-1) de la 1re journée de Ligue 1 n'était pas l'affiche de l'été. Alors, pour le suivre depuis la Croatie pendant ses vacances, le 11 août, il fallait être motivé. Mais Richard Pion ne pouvait manquer les débuts de Willy Delajod, son ancien poulain à la section sportive arbitrage de la Ligue Rhône-Alpes. Ancien, le qualificatif colle mal au Haut-Savoyard devenu ce soir-là, à vingt-cinq ans, le plus jeune arbitre central de l'histoire de la L 1 (1).
Le visage carré, les pommettes saillantes, le sourire diplomatique, la poignée de main aux entraîneurs... Avant même le coup d'envoi, le formateur l'a scruté : « Je l'ai vu serein, je me suis dit : "C'est réglé." » « Si j'ai eu le trac ? Bien sûr, admet Willy Delajod, mais la pression, j'adore. Ça ne m'a pas empêché de dormir, j'y suis allé avec beaucoup d'enthousiasme. » Et une préparation technique « un peu plus difficile, puisque en arrivant en Ligue 1, on connaît les joueurs sur le papier mais on ne les a jamais arbitrés ».
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Le nombre de matches dirigés par Willy Delajod cette saison en L 1. En tant qu'arbitre central, il a distribué 26 cartons jaunes et aucun carton rouge. Dans « L'Equipe », sa note moyenne s'établit à 5,4.
Avant le match, son collègue de L 1, l'Isérois Hakim ben el-Hadj, quarante ans, lui a passé un coup de fil. Il l'a vu grandir sur les terrains de la Ligue Rhône-Alpes. « Willy est très bien élevé, très intelligent, courtois et pas imbu de sa personne. Le jour de Lille, je lui ai dit?: "C'est toi le patron." Je l'ai trouvé calme. Il a su gérer les moments forts avec son "body langage". » « Et des joueurs réceptifs, précise le benjamin. La preuve, il n'y a eu qu'un seul carton jaune (88e), pour une semelle. Incontournable. » Histoire aussi de ne pas se coller l'étiquette de laxiste ? « La réputation, je n'y pense pas. On ne peut pas se dire : "Je veux être un arbitre qui laisse jouer ou qui met beaucoup de cartons." On fait ce que le football demande. Les cartons ne sont pas la seule manière de se faire respecter, il y a le management, la communication, les regards, les postures. »
«Dans les Districts et les Ligues, les arbitres sont confrontés à la violence de la société à l'état brut, derrière une main courante. Ça ne m'est jamais arrivé d'avoir peur, ça m'est arrivé d'être un peu déçu par la nature humaine», Willy Delajod
Des ingrédients que Richard Pion a vite décelés. À quinze ans, l'élève de seconde postulait pourtant au sport-études du lycée Faÿs de Villeurbanne avec un dossier pas totalement convaincant. Le gamin s'était lancé dans l'arbitrage par hasard à treize ans, après une blessure dans son club de Saint-Pierre-en-Faucigny : « La notion de justesse, la responsabilité que cela conférait à un jeune de mon âge, ça m'a tout de suite plu. J'avais aussi envie d'être utile et ce rôle me permettait d'être un peu différent. » Mais en classe, son comportement n'est pas à la hauteur de ses résultats. « Il s'ennuyait et foutait le bordel en classe, décrit le formateur. Autant vous dire que notre accueil a été glacial. »
Sur le terrain, c'est mieux. « En dix minutes, vous aviez compris. Il fallait être aveugle pour ne pas voir son talent, mais vu son caractère, il fallait le canaliser. » Dès la classe de première, il devient délégué, chouchou des profs et tête de classe. Il a trouvé sa voie. « Il avait besoin d'être dans l'hyperaction. » Entre les cours et l'arbitrage, il est servi. Aujourd'hui encore, lorsqu'il n'est pas sur les terrains, en entraînement physique, en stage fédéral mensuel, en débriefing, avec son ostéo ou son préparateur physique - « 80 % de mon temps » -, il est agent immobilier à Annecy, après avoir travaillé à Genève dans une société de transport et entreposage d’œuvres d'art.
En arbitrant à l'époque des oppositions de jeunes de l'Olympique Lyonnais ou de Saint-Étienne, il est prometteur. « Pas prometteur, c'était un professionnel ! corrige Richard Pion. Je n'ai jamais vu ça. Il avait tout compris. » Et a progressé au fil de prestations filmées et analysées par le formateur : « Parfois, quand je ciblais une performance moindre, il en était malade. Mais la fois suivante, le problème était réglé. » Même l'hostilité ne le perturbe pas. « Sur un match chaud aux Minguettes, il survolait les débats. Il avait un tel relationnel que tout passait, c'était un chef. » Willy Delajod prolonge : « Dans les Districts et les Ligues, les arbitres sont confrontés à la violence de la société à l'état brut, derrière une main courante. Ça ne m'est jamais arrivé d'avoir peur, ça m'est arrivé d'être un peu déçu par la nature humaine... »
Estampillé "Jeune arbitre fédération" à dix-neuf ans, il s'entoure petit à petit d'un staff. Début 2016, à l'heure de devenir le plus jeune arbitre de L 2, à vingt-trois ans, il fait appel au préparateur mental Frédéric Perez : « Willy avait conscience qu'il devait gagner en gestion du stress, de l'adrénaline. Il a travaillé sa respiration afin d'acquérir le plus vite possible le calme et prendre les décisions sans être sur le coup de la nervosité ou de l'émotion. On a travaillé aussi la fluidité, l'harmonie des gestes. La clé recherchée en permanence, c'est la sérénité. »
«J'avais bien vu qu'il avait une tête de gamin, mais je ne savais pas que c'était le plus jeune. [...] Il a de la personnalité et on peut discuter avec lui, c'est ça qui est bien. Il a l'air serein, sûr de lui, mais pas hautain du tout», Michel Der Zakarian, l'entraîneur de Montpellier
Le Montpellier-Strasbourg (1-1) de la 5e journée est à ce titre un bon révélateur. Pour sa troisième apparition, M. Delajod se dirige, à l'heure de jeu, vers l'expressif entraîneur Michel Der Zakarian, déjà agacé en début de match par la blessure de Keagan Dolly non sanctionnée. « J'aime les échanges frontaux, assure l'arbitre. C'est l'occasion de remettre les choses à plat, d'afficher les convictions et d'écouter l'autre. La discussion s'est finie par un sourire et une poignée de main. » « J'avais bien vu qu'il avait une tête de gamin, mais je ne savais pas que c'était le plus jeune, sourit l'entraîneur héraultais. Dans l'ensemble, ça s'est bien passé. Il a de la personnalité et on peut discuter avec lui, c'est ça qui est bien. Il a l'air serein, sûr de lui, mais pas hautain du tout. »
Autre moment de tension, son baptême du feu au Vélodrome (Marseille-Dijon, 2-0, le 11 novembre) et une intervention rude sur Luiz Gustavo non sifflée. Frédéric Perez raconte : « Il se retrouve devant le kop dans un ballet avec Payet, Mandanda, Thauvin et j'ai perçu un profond respect des Marseillais. Je me suis dit : "Waouh, il a franchi un palier !" »
« Il confirme ses qualités en L 1, juge Pascal Garibian, directeur technique de l'arbitrage, avec sa capacité à s'analyser avec recul et humilité, sa force mentale, sa lecture du jeu, son fort potentiel athlétique et sa capacité à être lucide. » Le patron doit aussi apprécier le discours bien rodé - « Mon style, c'est l'équité et l'authenticité » - et le sérieux de celui qui a intégré en 2017 le programme du centre d'excellence de l'arbitrage de l'UEFA. Mais Frédéric Perez rassure : « Willy est très fantaisiste, c'est un vrai gars de la montagne authentique mais il a un rôle. Et la familiarité, il doit en faire usage avec parcimonie. »
(1) Le 29 janvier 2018, Guillaume Paradis a remplacé Sébastien Moreira lors de Saint-Étienne - Caen, à 24 ans, 4 mois et 21 jours.
(2) Fracture du péroné sur un contact involontaire avec Stefan Mitrovic.
Source : L'ÉQUIPE