FFF - LIGUE 1 : Antony GAUTIER vous raconte sa journée d'arbitre de l'élite...

Arbitre de L1 depuis dix ans,   le Nordiste Antony Gautier, 38 ans, nous a ouvert les portes de son quotidien. Maître de conférence en mathématiques, il est également engagé en politique à Lille comme adjoint aux sports.  Avec un point d’équilibre qui détermine tout : la famille. 

10h00 : PRÉPARATION PHYSIQUE A BAILLEUL

« Je m’entraîne tous les jours »

On l’oublie souvent, pour suivre les joueurs de L1 pendant 90 minutes, il faut être capable de galoper longtemps. Bailleul, 10 h, un vent du matin qui pique. Antony Gautier attaque le dernier bloc de sa séance quotidienne sur un synthétique situé près de son domicile. Il enchaîne les diagonales, 15 secondes à 100 % de la VMA (vitesse maximale aérobie), 15 secondes de récupération.

Du fractionné intense, comme en match. « Je m’entraîne tous les jours, suivant un planning, explique-t-il, après une heure trente d’effort. J’alterne entre des séances de PMA (puissance maximale aérobie), de seuil lactique 2 et de capacité aérobie. Veille de match, c’est plutôt vitesse et vivacité, comme les joueurs. » En moyenne, il couvre12 km lors d’un match, plutôt 11 si une équipe domine, 13 si ça va d’un but à l’autre. Toutes les séances ainsi que les matchs sont enregistrés par une montre Polar (cardio, GPS) et envoyés au préparateur physique de la fédération qui a un état de forme hebdomadaire.

11h00 : PRÉPARATION VIDÉO À LA MAISON

« Quatre matchs avant chaque match »

Après la douche, retour au calme à la maison avec un autre aspect de la préparation, la vidéo. La semaine dernière, Antony Gautier avait en charge l’arbitrage de Nantes – Nice joué samedi à 14 h. « Je regarde quatre matchs avant chaque match. Les derniers joués par chaque équipe et les derniers où c’est moi qui les ai arbitrées. L’objectif est de réactiver les souvenirs, de repérer les options tactiques, les comportements, les mouvements préférentiels des joueurs, etc. » Chez lui, dans un bureau large et lumineux où l’on remarque de nombreux ouvrages de mathématiques mais aussi de la littérature politique, il se concentre sur l’écran de son PC, fait appel aux données de son ordinateur de voyage et prend des notes à la main dans un cahier qui le suit partout. La vidéo, c’est aussi le débriefing après match. Le sien, à tête reposée, devant les images. Puis celui de Bertrand Layec, responsable du secteur pro à la Direction nationale de l’arbitrage, 48 heures après chaque match.


 11h30 : RÉCUPÉRATION DES ENFANTS À L'ÉCOLE

« Je veux voir grandir mes enfants »

Les yeux sur l’horloge, 11 h 30 vont sonner, toutes affaires en cours doivent cesser. C’est l’heure de l’école. Père de trois enfants, Antony Gautier organise sa vie professionnelle autour de sa vie familiale. Dès la naissance de son deuxième bébé en 2010, il a opté pour le congé parental. « Je veux voir grandir mes enfants. Et ça, c’est maintenant. Je ne veux pas passer à côté », confie-t-il en remontant la rue qui mène à un établissement ouvrant sur un jardin public. Les matchs, c’est trois jours de boulot le week-end, départ la veille, retour le lendemain, en sachant qu’un arbitre nordiste n’a pas le droit de siffler les clubs de sa région. Alors, la semaine est aux enfants. Les deux fillettes ont l’habitude de retrouver papa à la mi-journée. Elles l’embrassent puis foncent sur la trottinette. Elles connaissent le chemin. Ça descend. « Stop, vous m’attendez ! », intervient-il en bas. À la maison, le grand frère rentre à son tour avec un cousin. C’est bientôt la salle de jeux. Ça rigole. Papa est bien.



15h00 : CHEZ LE MÉDECIN OSTEOPATHE

« J’ai un docteur formidable »

Depuis le temps, la relation médecin-patient s’est transformée en amitié. Voilà plusieurs années qu’Antony Gautier consulte très régulièrement le médecin-osthéopathe Simon-Pierre Mallong Fortrie, installé rue Solférino à Lille. « J’ai un docteur formidable », confie-t-il en nous présentant le praticien, qui soigne également le Lille Métropole Basket. « Un arbitre de L1 est un sportif de très haut niveau, qui fait plus de kilomètres que certains joueurs. Et il doit être soigné comme tel », explique le docteur en comprimant l’athlète sur la table d’examen. Il a le droit ce jour-là à une consultation très complète, avec même un bilan postural. « Ces rendez-vous me font toujours énormément de bien », témoigne l’arbitre en remettant sa chemise.

 

17h00 : VISITE D'UN CLUB DE GRS À LILLE

« Je veux œuvrer au développement du sport féminin »

L’après-midi, Antony Gautier laisse tomber le sifflet pour la mairie de Lille. Après une réunion technique à 16 h, l’adjoint aux sports allonge la foulée jusqu’au palais Saint-Sauveur où s’entraîne la GRS. « C’est un pole d’excellence, avec de nombreuses participations à des championnats nationaux. J’adore cette discipline. Motricité, coordination, c’est impressionnant ! Et ça me tient à cœur car je veux œuvrer au développement du sport féminin », explique-t-il en saluant les éducatrices. Qui lui apprennent que leurs jeunes athlètes ont été choisies pour animer les matchs de l’Euro de foot en juin au stade Pierre-Mauroy.



18h00 : RÉUNION DE L'OMS EN MAIRIE DE LILLE

« Force de proposition »

Retour en mairie à 18 h pour une réunion de l’Office municipal des sports. C’est jour d’installation des commissions thématiques. Très à l’aise à l’oral, l’adjoint aux sports préside la séance et rappelle ses priorités : le développement du sport pour les enfants, du sport féminin et du sport santé. « Ces commissions sont très importantes pour moi. Elles doivent être force de proposition », indique-t-il en invitant chacun à s’exprimer.


JE N'AI QU'UN SEUL OBJECTIF, ÊTRE JUSTE

Troisième arbitre français la saison dernière derrière Clément Turpin et Ruddy Buquet, Antony Gautier est une référence au plan national depuis 2007, international depuis 2010, qui pourtant n’échappe pas à la critique. Il se confie sur sa passion.


 

Arbitre, une vocation


« J’ai joué au foot de 8 à 15 ans, gardien. Et en parallèle, j’accompagnais mon père le dimanche matin. J’ai fait la touche, dès 11 ans. Et même central à 12 ans avec des seniors en amical. Cette expérience m’a beaucoup apporté. À 15 ans j’ai passé le concours pour devenir arbitre officiel et j’ai commencé au niveau district, en 1992. Jamais je n’ai imaginé en arriver là. Parfois, quand je rencontre de jeunes arbitres, on me demande : « Comment avez-vous programmé votre carrière ? » Non. Je me suis toujours impliqué avec sérieux et détermination. Et puis, c’est une passion, j’adorais ça. À partir du moment où on fait quelque chose avec passion, on met davantage d’atouts de son côté pour avancer. Dans mon cas, c’est viscéral. Ce poste me correspond bien car non seulement c’est une activité sportive et j’adore le sport. Mais c’est aussi une prise de responsabilités. On est obligé de juger dans l’instant. Ces deux aspects me correspondent. »

Plaisir ou pression ?

« Le jour où tu as peur sur un terrain par rapport aux impacts, alors il faut arrêter. Je n’ai qu’un seul objectif, être juste. Appliquer un règlement de la façon la plus précise et juste possible. Que les sanctions soient prises contre monsieur X ou Y, moi, peu importe. Si à un moment tu commences à réfléchir aux conséquences sportives ou économiques d’un coup de sifflet, alors il faut arrêter. Je me base sur ma passion. J’ai la chance de pouvoir l’exercer au plus haut niveau. Ce que je vis depuis 15 ans, c’est une vraie chance. »

Vivre avec les critiques

« Je me suis blindé. Si tu es sensible à la critique, aux notes de certains, il ne faut pas faire un métier public. La vérité, c’est l’évaluation de la Direction nationale de l’arbitrage. J’ai une carapace que j’utilise quasiment tout le temps. Je ne passe pas mon temps à lire ce qui se dit ou s’écrit sur moi. Je pense que c’est le meilleur rempart par rapport à une carrière qui dure. J’ai toujours revendiqué le droit à l’erreur. Aussi bien dans l’arbitrage que dans la vie de tous les jours. Qui aujourd’hui peut s’enorgueillir de ne jamais commettre d’erreur ? Dans ce monde où l’erreur existe, reconnaître que je me suis trompé, c’est quelque chose que je ne souhaite pas faire mais que je sais faire. C’est un atout pour moi. Il ne s’agit pas d’être borné. Il faut savoir évoluer. »


Un peu de reconnaissance ?

« Oui ça arrive. Avec les entraîneurs, les relations sont globalement courtoises. Et sur les derniers matchs, par exemple Paris-Monaco (0-2 le 20 mars). Paris perd mais j’ai quand même eu des joueurs parisiens qui sont venus vers moi me remercier, Thiago Silva le premier. Sur Montpellier-Lyon (0-2 le 8 avril), c’est Lacazette, que j’avais exclu il y a deux ans, qui vient vers moi et a un mot sympa. Sur Monaco-Marseille (2-1 le 17 avril), pareil avec Toulalan. Aujourd’hui, l’erreur serait de ne retenir que les points négatifs. Il y a du positif. Quand tu as des échanges, ça te fait avancer. »

Pour ou contre la vidéo ?

« Aujourd’hui, pourquoi devrait-on se priver d’un outil qui devrait nous permettre d’améliorer la performance ? Ce qui m’interpelle davantage, c’est la façon dont la vidéo va être mise en œuvre. On ne peut pas la mettre sur n’importe quoi. Et puis, il faut s’interroger. Car la vidéo, ça veut dire que tu crois à la vérité absolue des images alors qu’il y a des tas de situation où nous n’allons pas être d’accord. Parfois, la vidéo ne donnera pas la solution. Qu’est-ce qu’on fait ? L’arbitre aura le dernier mot mais… Beaucoup pensent que la vidéo en L1 éliminerait totalement les erreurs. C’est faux. »

Des rêves d’arbitre ?

« Aujourd’hui, deux choses m’animent : la passion et la performance. J’ai la chance d’avoir déjà arbitré en Ligue des champions. Le dernier match, c’était un Moscou- Bayern. J’ai fait une finale de Coupe de la Ligue, une finale de Coupe de France. Aujourd’hui, je suis épanoui. Je veux continuer à progresser mais mes choix, je les fais désormais en fonction de ma famille. J’ai décidé de prendre un peu de recul au niveau international car j’ai beaucoup donné de 2008 à 2014. À un moment, on ne peut pas tout avoir. Et puis j’ai eu une expérience difficile au championnat d’Europe espoirs 2013, sans que ce soit de ma faute d’ailleurs. Mais le haut niveau, ce sont les détails, je l’ai toujours su. On voit la force d’un arbitre à sa capacité de résilience. Quand tu es capable de rebondir. Aujourd’hui, je ne regrette pas mes choix. J’ai un équilibre famille-travail qui me convient parfaitement. »


Source : LA VOIX DES SPORTS