Publié le 26/01/2015 - Nervosité des joueurs de foot : pour l'ancien arbitre Bruno Derrien, "il y a deux écoles"
Les incidents et les expulsions de Mexès et Ronaldo vous ont-ils surpris ?
Je suis toujours un peu surpris de voir des gens qui n'arrivent pas à se maîtriser. Il faut voir la genèse parce qu'il y a souvent une provocation au départ de leurs adversaires directs. Mais venant de joueurs de ce calibre, on est surpris de leurs réactions. Celle de Mexès est impressionnante. Il s'est excusé mais c'est assez surprenant. Mais c'est vrai que les joueurs comme Ronaldo font souvent l'objet d'un marquage très serré et, à un moment donné, en ont assez de prendre des coups et dérapent un peu. Les deux hommes vont être sanctionnés mais j'imagine que Mexès prendra plus que Ronaldo.
Quand on est arbitre j'imagine que l'on n'apprécie pas avoir à juger ce type d'incidents ?
Non, bien entendu, mais quand c'est tellement limpide, quand ça part en live comme ça, personne ne conteste la décision de mettre un carton rouge. C'est tellement clair et net. Le rouge se conteste quand c'est moins évident. Y a-t-il contact, pas contact… Quand ça part comme ça, c'est tellement puissant que ça calme tout le monde.
Ce type d'incident peut dégénérer. Comment gère-t-on cela quand on est arbitre ?
Là, il y a eu une échauffourée. En général, les partenaires viennent des deux côtés pour calmer les joueurs impliqués. On l'a vu avec Mexès, ses coéquipiers sont venus le retenir. On voit bien que Cana, le joueur de la Lazio essaie de calmer. Dans ces cas-là, ou tout le monde se calme ou ça part en vrille.
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Philippe Mexès a été retenu par ses coéquipiers, ce qui ne l'a pas empêché de s'en prendre physiquement à Mauri puis à Cana (AFP) |
L'arbitre doit être fort dans ces cas-là…
Il ne faut surtout pas entrer dans la mêlée, parce que vous risquez de prendre un coup ! Il faut prendre du recul. Soit vous anticipez tout de suite, parce que vous êtes à côté, vous sentez que ça monte, vous vous mettez entre les deux. Quand ça vous échappe, il faut surtout prendre un peu de recul. Et quand ça se termine, vous appelez les protagonistes et vous sortez rouge et rouge. Les deux premiers qui ont enchaîné les coups, c'est dehors. On ne cherche pas à comprendre…
Comment arbitre-t-on des matches à haute tension comme PSG - OM ?
Ça n'est plus à haute tension, cela s'est pas mal calmé. On verra au match retour mais ces matches-là n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient il y a vingt ans, au niveau de l'engagement physique. Les joueurs se respectent davantage. Avant, tous ces matches étaient scénarisés, on faisait monter la mayonnaise, les joueurs faisaient des déclarations. Maintenant, c'est terminé. Les joueurs se respectent. Au match aller, il ne s'est pas passé grand-chose et pourtant, M. Turpin a mis un carton un peu rapide à Imbula.
Le risque n'est-il pas là, de sortir trop vite un carton rouge ?
C'est toujours compliqué à sentir. Si vous ne sortez pas vos cartons tout de suite, le contrôle du match peut vous échapper. Les joueurs, tant qu'ils ne prennent pas de carton, ne se calment pas. En fait, il y a deux écoles. Ou vous sortez vos cartons tout de suite pour asseoir votre autorité, clamer les erreurs. Si les joueurs ne comprennent pas, alors vous changer de couleur. Il y a une école plus permissive où l'on se dit "je vais gérer, je vais aborder les choses de façon de psychologique, parler aux joueurs, dépassionner le débat". Ça peut marcher mais pas à tous les coups. Il n'y a pas de solution miracle. Ça dépend de la personnalité de l'arbitre. Ou il est pris par la répression, ou il est dans le dialogue. Regardez le match de la CAN entre l'Algérie et le Ghana, M. Coulibaly a mis un peu de temps à sortir ses cartons et c'est parti un peu en live.
Certains arbitres, comme M. Ennjimi s'efforcent de ne pas sortir de rouges ou en dernier recours. N'est-ce pas préjudiciable ?
A Bastia, il a bien fait. Cahuzac commet une grosse faute. On peut calmer mais à un moment donné, les joueurs ne comprennent que la sanction. Après, il y a des arbitres qui cartonnent à tout va. Turpin, il y a deux-trois ans, avait sorti je ne sais plus combien de cartons. Après une faute n'égale pas un carton. Le problème est que si vous appliquez les lois du jeu à la lettre, aucun match ne peut se terminer. Il y a toujours deux écoles, entre ceux qui se pensent assez forts pour ne pas sortir de cartons et ceux sanctionnent tous ceux qui se comportent mal.
Un arbitre sent-il tout de suite la nervosité éventuelle d'un match ?
Oui, on le sent tout de suite, aux premiers accrochages. Les joueurs se provoquent, etc… On sent tout de suite si ça peut partir en vrille ou pas… Parce qu'il y a des contentieux entre joueurs, des déclarations à la presse. Mais ça fait partie de la préparation d'un match que de savoir ça.
Est-ce que l'on voit si un joueur n'est pas dans son état normal ?
Oui, on voit assez facilement ceux qui sont plus nerveux que les autres. Vous savez, lorsque des joueurs, comme Cyril Rool, sont connus pour leur susceptibilité, les équipes adverses établissent des stratégies de jeu pour leur faire perdre leurs moyens. Je me souviens lors d'un Sedan – Nice en huitième de finale de la Coupe de la Ligue. J'ai réussi ce jour là à le calmer, en positivant son jeu, en lui disant de rester calme, de ne pas répondre aux provocations. A la fin du match, il est venu me voir pour me remercier et m'a offert son maillot. Je ne lui avais pourtant rien demandé. Je n'ai jamais considéré l'arbitrage comme une sanction obligatoire. J'ai toujours essayé de parler, prévenir, anticiper, éviter.
Mais un arbitre ne peut-il pas être influencé par la réputation d'un joueur ?
Il ne devrait pas. Après les arbitres restent des hommes. Mais on doit arbitrer tout le monde de la même manière. Ce n'est pas facile quand un arbitre est petit, qu'il doit faire face à un joueur grand et costaud et pourtant, il ne devrait pas se laisser impressionner.
Source : SUDOUEST