Permettre aux entraîneurs de demander le recours aux images vidéo dénaturerait le foot.
Sepp Blatter, président de la Fédération internationale de foot (Fifa) vient de lancer un ballon en forme d’autopromotion. Il propose que les entraîneurs disposent de deux à quatre «challenges» par match pour demander le visionnage d’images vidéo.
Après avoir fait adopter la Goal Line Technology (GLT), voilà M. Blatter parti sur une piste qu’il a toujours refusée: celle du soi-disant «arbitrage vidéo». Il ne s’agirait plus alors de vérifier, en une seconde, si le ballon a franchi la ligne de but ou non mais d’entrer dans le labyrinthe de l’interprétation des images.
Le caractère politique de ce revirement est flagrant. La FIFA est en difficulté sur des dossiers brûlants (dont l’attribution au Qatar de la Coupe du monde 2022) et elle est l’objet de forts soupçons de corruption. Sepp Blatter cherche donc à faire diversion et tente de se forger une image de responsable capable de réformer le football. Le duel annoncé avec Michel Platini, président de l’UEFA, pour la présidence de la FIFA (et qui finalement n’aura pas lieu) a poussé le président actuel à forcer l’allure.
Mieux vaudrait rire de cette mascarade pro vidéo si le football ne risquait d’en être la victime. Michel Platini n’a aucun doute sur les vraies raisons du projet: «Blatter est dans la communication. Il veut montrer qu’il est moderne. Mais au fond de lui, il est contre.» (Monaco, le 28 août dernier).
Le progressiste, en la matière, n’est pas Blatter mais Platini. La véritable révolution, c’est ce dernier qui l’a mise en marche avec l’arbitrage à cinq dans les compétitions UEFA. Ce ne sont plus trois arbitres mais cinq qui y officient désormais, les deux arbitres supplémentaires étant chargés des surfaces de réparation, où se déroulent nombre d’actions décisives.
Permettre aux entraîneurs de demander la vidéo présente de graves inconvénients. Ceci déposséderait les arbitres d’une partie de leur pouvoir de décision, alors qu’il s’agirait plutôt de le conforter. Et surtout, ce projet ferait entrer l’interprétation des images au cœur du football. Arbitres et entraîneurs se retrouveraient plusieurs fois par match face à un écran pour examiner s’il y avait bien but, penalty, faute grave, etc. Et quelle est ici la référence ? La télévision ! C’est-à-dire une entreprise de spectacle, avec ses trop nombreux ralentis qui déforment la perception du jeu. En outre, plus il y a d’images d’une même action, plus elles se contredisent et plus se faire un point de vue devient difficile. Une réalisation télévisuelle est une série de choix, et elle exclut autant qu’elle montre. Sans compter avec le temps que ces scrutations vidéo prendraient… On commence avec deux interruptions et on en demande ensuite toujours plus. C’est sans fin.
En réalité, l’arbitrage vidéo n’existe pas. L’arbitrage - avec les multiples décisions complexes qu’il implique - c’est l’affaire des arbitres, pas des images. Seule existe dans certains sports, très différents du football (tennis, hockey sur glace, football américain notamment), une assistance technologique à l’arbitrage très encadrée, avec dans divers cas des «challenges» accordés aux entraîneurs. Mais chaque sport a ses spécificités et ce qui fonctionne, plus ou moins bien, dans certaines disciplines, n’est pas nécessairement valable pour d’autres.
Seule la «Goal Line Technology» peut éventuellement s’appliquer au football. Vouloir par exemple y instaurer ce qui est en vigueur au football américain (ce sport fait pour la télévision et la publicité, aux temps de jeu très courts) n’a pas de sens.
Le rugby aussi est très différent du football. Mais il a connu récemment une instructive extension de l’utilisation de la vidéo. Celle-ci a rallongé les matches, haché le jeu, déresponsabilisé les arbitres. Le même danger guette le football. Premier sport du monde, il tire largement sa magie de sa fluidité, de son incertitude, voire d’une forme d’archaïsme.
En France, Frédéric Thiriez, le fringant président de la Ligue de football professionnel (LFP) tente de profiter de l’ouverture. Suggérant la coupe de la Ligue comme lieu d’expérimentation, il a rappelé au passage qu’il prône depuis dix ans l’assistance vidéo et que dans «la querelle des anciens et des modernes», les modernes finissent toujours par gagner. Le problème est qu’il ne s’agit pas ici d’être ancien ou moderne, mais d’être pertinent ou non. Or cela fait dix ans que M. Thiriez se trompe, avec autant d’obstination que de bonne humeur. A aucun moment il n’a apporté de réponse sérieuse aux deux questions essentielles sur ce sujet: qu’est-ce qu’une image de télévision (et son interprétation) ? Quelles seront les conséquences de la vidéo sur le jeu ? Tout le reste n’est qu’activité promotionnelle, culte de la technologie et faux-semblants.
Source : LIBÉRATION
Sepp Blatter, président de la Fédération internationale de foot (Fifa) vient de lancer un ballon en forme d’autopromotion. Il propose que les entraîneurs disposent de deux à quatre «challenges» par match pour demander le visionnage d’images vidéo.
Après avoir fait adopter la Goal Line Technology (GLT), voilà M. Blatter parti sur une piste qu’il a toujours refusée: celle du soi-disant «arbitrage vidéo». Il ne s’agirait plus alors de vérifier, en une seconde, si le ballon a franchi la ligne de but ou non mais d’entrer dans le labyrinthe de l’interprétation des images.
Le caractère politique de ce revirement est flagrant. La FIFA est en difficulté sur des dossiers brûlants (dont l’attribution au Qatar de la Coupe du monde 2022) et elle est l’objet de forts soupçons de corruption. Sepp Blatter cherche donc à faire diversion et tente de se forger une image de responsable capable de réformer le football. Le duel annoncé avec Michel Platini, président de l’UEFA, pour la présidence de la FIFA (et qui finalement n’aura pas lieu) a poussé le président actuel à forcer l’allure.
Mieux vaudrait rire de cette mascarade pro vidéo si le football ne risquait d’en être la victime. Michel Platini n’a aucun doute sur les vraies raisons du projet: «Blatter est dans la communication. Il veut montrer qu’il est moderne. Mais au fond de lui, il est contre.» (Monaco, le 28 août dernier).
Le progressiste, en la matière, n’est pas Blatter mais Platini. La véritable révolution, c’est ce dernier qui l’a mise en marche avec l’arbitrage à cinq dans les compétitions UEFA. Ce ne sont plus trois arbitres mais cinq qui y officient désormais, les deux arbitres supplémentaires étant chargés des surfaces de réparation, où se déroulent nombre d’actions décisives.
Diego Simeone, le coach de l'Atletico Madrid, en grande discussion avec l'arbitre du match de la Supercoupe d'Espagne contre le Real Madrid, le 22 août 2014. (Dani Pozo. AFP) |
Permettre aux entraîneurs de demander la vidéo présente de graves inconvénients. Ceci déposséderait les arbitres d’une partie de leur pouvoir de décision, alors qu’il s’agirait plutôt de le conforter. Et surtout, ce projet ferait entrer l’interprétation des images au cœur du football. Arbitres et entraîneurs se retrouveraient plusieurs fois par match face à un écran pour examiner s’il y avait bien but, penalty, faute grave, etc. Et quelle est ici la référence ? La télévision ! C’est-à-dire une entreprise de spectacle, avec ses trop nombreux ralentis qui déforment la perception du jeu. En outre, plus il y a d’images d’une même action, plus elles se contredisent et plus se faire un point de vue devient difficile. Une réalisation télévisuelle est une série de choix, et elle exclut autant qu’elle montre. Sans compter avec le temps que ces scrutations vidéo prendraient… On commence avec deux interruptions et on en demande ensuite toujours plus. C’est sans fin.
En réalité, l’arbitrage vidéo n’existe pas. L’arbitrage - avec les multiples décisions complexes qu’il implique - c’est l’affaire des arbitres, pas des images. Seule existe dans certains sports, très différents du football (tennis, hockey sur glace, football américain notamment), une assistance technologique à l’arbitrage très encadrée, avec dans divers cas des «challenges» accordés aux entraîneurs. Mais chaque sport a ses spécificités et ce qui fonctionne, plus ou moins bien, dans certaines disciplines, n’est pas nécessairement valable pour d’autres.
Seule la «Goal Line Technology» peut éventuellement s’appliquer au football. Vouloir par exemple y instaurer ce qui est en vigueur au football américain (ce sport fait pour la télévision et la publicité, aux temps de jeu très courts) n’a pas de sens.
Le rugby aussi est très différent du football. Mais il a connu récemment une instructive extension de l’utilisation de la vidéo. Celle-ci a rallongé les matches, haché le jeu, déresponsabilisé les arbitres. Le même danger guette le football. Premier sport du monde, il tire largement sa magie de sa fluidité, de son incertitude, voire d’une forme d’archaïsme.
En France, Frédéric Thiriez, le fringant président de la Ligue de football professionnel (LFP) tente de profiter de l’ouverture. Suggérant la coupe de la Ligue comme lieu d’expérimentation, il a rappelé au passage qu’il prône depuis dix ans l’assistance vidéo et que dans «la querelle des anciens et des modernes», les modernes finissent toujours par gagner. Le problème est qu’il ne s’agit pas ici d’être ancien ou moderne, mais d’être pertinent ou non. Or cela fait dix ans que M. Thiriez se trompe, avec autant d’obstination que de bonne humeur. A aucun moment il n’a apporté de réponse sérieuse aux deux questions essentielles sur ce sujet: qu’est-ce qu’une image de télévision (et son interprétation) ? Quelles seront les conséquences de la vidéo sur le jeu ? Tout le reste n’est qu’activité promotionnelle, culte de la technologie et faux-semblants.
Source : LIBÉRATION