vendredi, mai 22, 2015

LIGUE DU CENTRE-OUEST : Agressé sur un terrain le 1er mai, l'arbitre témoigne...

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans , , , , , ,


Publié le 22/05/2015 - Victime de violences physiques sur un terrain le 1 mai, Laurent Louis-Eugène a accepté de revenir sur cette agression. L'arbitre de 48 ans siffle de nouveau, mais condamne un certain climat.
Laurent Louis-Eugène (au centre): « Les arbitres sont des proies faciles, car pas protégées. On arrive seul, on repart seul. »

Le 1 mai devait être le moment de souffler pour Laurent Louis-Eugène, parce qu'il lançait un week-end de trois jours et lui donnait l'occasion d'assouvir sa passion de l'arbitrage. Sifflet en main, la rencontre de Coupe Tassin Migné-Auxances - Poitiers FC 2 s'était déroulée à peu près comme les autres, avec les contestations verbales qui escortent très souvent le monde du ballon rond.

Rien de trop anormal, donc, jusqu'à la violence physique d'un spectateur, « éducateur » à Migné et mis définitivement sur la touche par son club. Deux « grandes claques » et une nuit blanche plus tard, l'arbitre de Ligue a porté plainte contre son agresseur. Trois semaines après, Laurent Louis-Eugène revient sur cet épisode. Marqué, mais déterminé à poursuivre sa route au sifflet.

"L'arbitrage reste un monde de l'omerta. Il faut attendre quoi? Un coup de couteau ou un coup de fusil?"

Comment allez-vous aujourd'hui?

« Ça va très bien. J'ai la chance d'avoir 48 ans, d'être serein. Je n'ai pas eu de grosses séquelles physiques: grâce à l'intervention de quelqu'un, ce qui devait être deux coups de poing s'est transformé en deux grandes claques. Une sur le front, une sur la tempe. La deuxième m'a sonné pendant quelques secondes. Je suis tombé en arrière. J'ai aussi subi un traumatisme psychologique. »

Les heures et les jours qui ont suivi l'agression n'ont pas dû être simples à vivre...

« Je n'ai pas dormi de la nuit, mais à six heures du matin le lendemain, j'étais douché, habillé pour aller porter plainte. Derrière, il y a eu deux autres nuits un peu compliquées. »

Avez-vous eu un arrêt de travail?

« Non, je suis reparti au travail dès le lundi suivant. Et dès le lendemain, j'étais sûr d'avoir envie de retourner arbitrer. Mais je pense aux jeunes prometteurs au sifflet, moins aguerris. Si l'un d'eux avait été à ma place, il aurait sans doute raccroché. »

Qu'attendez-vous de la plainte déposée?

« Je n'attends rien, pas de condamnation exemplaire. Pour la forme, je ne pouvais pas laisser passer sous silence cet événement que certains jugent anecdotique.

"Capituler, ce serait donner raison à ces gens-là"

Le jour-même, c'est le délégué du match, du club de Migné, qui a mis le feu aux poudres. Sans ça, peut-être que mon agresseur n'aurait pas pété les plombs... Et après le match, tout le monde l'avait identifié. Les dirigeants du club en question étaient là. Mais quand mes assistants sont venus poser la question, personne n'a voulu donner son nom. Ça, ça m'a autant choqué que l'agression. »

Etes-vous retourné sur le terrain avec de l'appréhension?

« Non, aucune. C'était un acte isolé, pas un regroupement de quinze personnes. Je suis arbitre de Ligue, j'ai repris avec un Boussac - Noailles (PL), en distribuant un carton jaune. De quoi me réconcilier avec le foot et l'arbitrage. »

Aujourd'hui, on sent dans votre discours que cette agression est de l'histoire ancienne...

« Malheureusement, je suis passé à autre chose. »

Malheureusement?

« Les instances ne m'ont pas permis de m'apitoyer sur mon sort. En terme de soutien, il y a eu moins que le strict minimum. J'ai eu un coup de fil, à titre personnel, de Jean-Louis Rideau (président de la commission de détection, de recrutement et de fidélisation des arbitres au District de la Vienne) qui m'a beaucoup touché. Mais au sens officiel, silence radio. Je n'ai eu aucune preuve d'inquiétude, pas le moindre message de soutien de la part des instances gouvernantes, le District et la CDA (Commission départementale de l'arbitrage). Ça ne fait que conforter ma vision des choses par rapport à ces gens-là... »

Quel regard portez-vous sur la mesure prise par ces mêmes instances de reporter le coup d'envoi des rencontres de 15 minutes ce week-end?

« Aux grands maux les petits moyens... Je leur ai répondu par une lettre ouverte, je ne pouvais pas laisser passer cela. Il faut attendre quoi? Un coup de couteau ou un coup de fusil? Moi-même, je ne peux pas me révolter à hauteur de ce que je voudrais, car l'arbitrage reste un monde de l'omerta. »

Un monde qui a connu deux agressions en quinze jours dans la Vienne...

« J'ai appelé mon collègue agressé (dimanche dernier, lire nos éditions de mardi et mercredi). Il avait envie de tout arrêter. Lui a subi une agression plus importante, avec tentative de strangulation et coups de pied dans les reins. »

"En prenant le sifflet, je savais que la probabilité de me faire agresser existait"

« Je lui ai dit de bien réfléchir, à tête reposée. Sous prétexte de tels agissements, il faudrait se priver du plaisir d'arbitrer? »

Ce plaisir n'est-il pas entaché depuis quinze jours?

« Mon plaisir personnel est plus fort que tout. Arrêter, capituler, ce serait donner raison à ces gens-là. J'ai été joueur, éducateur, président de club avant d'être arbitre. En prenant le sifflet, je savais que la probabilité de me faire agresser existait. J'avais admis cela, en priant le Bon Dieu que ça n'arrive pas. Mais le 1 mai, c'est tombé sur moi. J'avais déjà eu une portière de voiture cabossée après un match. Je me savais exposé. Mon discours est très pessimiste, mais c'est la réalité. Je m'identifie de moins en moins au sport dans lequel j'ai grandi. »

Source : CENTRE-PRESSE