lundi, janvier 04, 2016

FOOTBALL - 2013 / 2016 : Face à la violence, les mentalités ont-elles changées ?

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans , , , , , , , , , ,


Publié le 04/01/2016 : Cet article date de mai 2013, il relate l'agression d'un arbitre dans l'exercice de ses fonctions... Grâce à vos amicales et entre autres à l'UNAF les sanctions pénales concernant les joueurs et dirigeants amateurs ont augmentés, en prenant en considération les conventions signées avec les différents parquets du territoire français, mais concernant la vitrine du football, la LIGUE 1... les mentalités ont-elles vraiment changées ? à vous de vous faire votre idée...




"Sur un terrain, l’agressivité commence par les mots, mais ça peut vite aller plus loin. En avril dernier, j’ai été frappé. C’était un dimanche après-midi, pendant une rencontre de district que j’arbitrais. Une action anodine, qui tourne mal.

Un choc entre joueurs, ils se chauffent et j’interviens. Je veux mettre un rouge. Là, je suis bousculé, je tombe à terre et reçois un coup à la pommette. Je fais une crise d’épilepsie, puis perds connaissance.

J’ai déposé plainte à la gendarmerie, après ma sortie de l’hôpital dans la soirée. Complètement choqué, parce que les conséquences auraient pu être plus graves.

La semaine dernière, les décisions de la commission de discipline sont tombées. Plusieurs joueurs étaient concernés. D’abord, ceux qui m’avaient agressé physiquement. L’un d’eux a pris 20 ans de suspension, un autre deux ans. Et puis, ceux qui s’en étaient pris à moi verbalement.

L’un d’eux a dit : « Ça va, il est pas mort »


Ils traversaient le terrain pour contester chacune de mes décisions, de manière systématiquement virulente. Cela a fait grimper la pression. En me voyant à la commission, l’un d’eux a dit un truc du genre « Ça va, il est pas mort ». Ça m’a fait mal. J’en ai pleuré. Depuis le mois dernier, je ne travaille plus – je suis responsable commercial. Je consulte un psychiatre. Tout ça pour du foot.

A une autre échelle, la semaine dernière, Leonardo  [directeur sportif du Paris Saint-Germain, ndlr] a attendu l’arbitre en zone mixte. Et puis, il l’a bousculé. Devant les médias, il a nié, malgré les images, qui de prime abord, sont accablantes. D’accord, Leonardo a été suspendu à titre conservatoire. Mais si sa culpabilité est prouvée, il faudra qu’il écope d’une sanction exemplaire.

Sinon, nous, comment fait-on dans le foot amateur ?


La Ligue 1 est une vitrine. Il n’est pas rare, lorsque je veux faire appliquer un point de règlement, que les joueurs se réfèrent au comportement des joueurs pros. « Regarde, en Ligue 1, ils font pareil ». Que les éducateurs mettent de l’huile sur le feu, alors qu’ils doivent justement apaiser les esprits et prendre du recul.

Avant d’être arbitre, j’ai été footballeur. J’ai pris le sifflet par hasard, il y a neuf ans. Pas une vocation au départ, mais au fil des semaines, c’est devenu une passion. On apprend à regarder et apprécier le foot différemment.

A ceux qui s’en prennent à l’arbitre, j’ai envie de dire une chose : prenez un sifflet et vous comprendrez que pour nous, la tâche n’est pas si simple.

On retient que l’arbitre est un incompétent


Il y a deux semaines, Fabien Audard [gardien de but de Lorient, ndlr] a giflé Mathieu Valbuena [milieu de terrain de Marseille, ndlr]. On lui a infligé trois matches ferme. C’est insuffisant. En district, il aurait certainement pris six mois. Les choses sont claires : il faut frapper fort – et pas seulement en amateur – pour éradiquer la violence dans le football.

Je me mets deux minutes à la place du téléspectateur, qui joue le dimanche après-midi. Un type prend trois matches pour une gifle : il peut se dire que le geste n’est pas si grave, puisque la sanction, vraiment pas dissuasive, est dérisoire.

J’ai regardé l’action qui a amené le carton rouge de Thiago Silva et donc, la réaction de Leonardo. A la place de l’arbitre ? J’aurais mis le rouge. Certes, Thiago Silva ne fait rien de méchant. Mais pourquoi touche-t-il l’arbitre ? C’est inadmissible.

De plus en plus de libertés ont été prises à l’égard des officiels, avec la même certitude : c’est toujours de notre faute, qu’importe les circonstances.

Les médias en rajoutent. Facile quand on peut consulter les ralentis plusieurs fois, sous différents angles. L’arbitre est un être humain. Le jeu va vite. Alors, il peut y avoir des erreurs. Pire encore, quand un commentateur passe son temps au micro à dénigrer des décisions, dont on s’aperçoit a posteriori qu’elles sont bonnes. Que retient-on ? Que l’arbitre est quand même un incompétent.

L’avantage d’arbitrer en district est qu’il n’y a pas la la vidéo. Concernant son application dans les matches pro pour trancher les décisions litigieuses, je reste dubitatif. Pour moi, la puce dans les buts [testée à la Coupe du Monde des clubs fin 2012, ndlr], pour voir si le ballon a franchi la ligne, suffit amplement.

J’arbitrerai de nouveau


L’utilisation systématique des images entraînerait des arrêts de jeu trop fréquents. Des débats aussi : parfois, une image ne permet même pas de trancher. Il ne faut pas ôter la dimension humaine du foot, juste accepter que l’erreur peut faire partie du jeu.

On dit souvent des arbitres qu’ils ne se remettent jamais en cause. Qu’ils sont rigides et qu’ils ne veulent pas communiquer pour justifier un mauvais geste ou une mauvaise parole à leur encontre.

Dans mon cas et même à mon échelle, c’est faux. J’essaie de m’améliorer et de comprendre pourquoi j’ai pris une mauvaise décision. De parler avec les joueurs, avant et après, en restant accessible. Mais certains ont des idées arrêtées et ne veulent rien entendre. On est mauvais, point.

J’espère reprendre le sifflet avant la fin de la saison. D’abord en qualité d’arbitre de touche, pour reprendre le rythme. J’ai longuement hésité, mais je me suis rappelé d’une chose. Si parfois, certaine situations partent en cacahuète, le tableau – en dépit de mon témoignage – n’est pas tout noir. La preuve, je n’ai pas perdu l’envie.

A la fin d’un match, il est déjà arrivé que certains joueurs, entraîneurs et dirigeants – et même le public – me félicitent. Tout le monde a pris du plaisir.

Car on l’oublie souvent, dans le foot, c’est quand même l’essentiel. 

Source : RUE89