FOOTBALL - LIGUE 1 - Polémiques sur l’arbitrage : la fabrique de l’imbécillité...
Publié le 07/12/2017 - Dimanche soir, à l’antenne de Canal+, on a donc entendu des consultants et des commentateurs accabler des arbitres qui avaient pourtant pris les bonnes décisions. Il aurait fallu connaître la règle du hors-jeu pour éviter de se fourvoyer aussi grossièrement. Mais cet aveu d’ignorance pèse peu devant les bénéfices à retirer de la lapidation des arbitres.
« L’homme du match c’est Franck Schneider, l’arbitre. C’est de lui et de ces décisions dont va évidemment débattre dans le débrief », annonça le commentateur Stéphane Guy au coup de sifflet final de ce Montpellier-Marseille. « Évidemment. » Au même moment, dans les couloirs du stade, des joueurs et des dirigeants se laissaient aller à des insultes ordurières contre des arbitres qui avaient bien fait leur travail.
Le lendemain, lors d’une autre émission de Canal+, Hervé Mathoux a estimé que le football devrait avoir honte d’être le seul sport « où les gens se comportent comme cela ». Son collègue Dominique Armand a poursuivi : « Il y a trop de gens qui ne connaissent pas les règles ». Le trouble vient évidemment du fait que tous deux figurent sur le plateau dominical du Canal Football Club, et qu’ils y côtoient des commentateurs et des consultants qui devraient se sentir particulièrement visés.
Si le dénigrement des arbitres est devenu un fonds de commerce, c’est sans conteste un bistro et Pierre Ménès en est le patron. Ayant fait de la déblatération sa profession, et de lui-même un contributeur direct à l’indigence de la culture football française, il réserve au corps arbitral une part majeure de ses opinions, aussi sommaires que des exécutions. Cette fois, il avait versé dans les attaques ad hominem dès la mi-temps. Une habitude.
Il y a pourtant de bons journalistes et consultants, sur Canal+ et ailleurs, mais un Dominique Armand doit par exemple consacrer une part considérable de son temps de parole à rectifier ou pondérer les propos de son voisin. Éric Carrière, justement un des meilleurs consultants de la chaîne, s’est aussi exprimé : « Les années passent, ces sujets reviennent tout le temps. On a des entraîneurs qui ont oublié qu’avant tout, ils sont des éducateurs ». Que dire, alors, des individus mis en position d’autorité qui s’adressent à des millions de téléspectateurs en se souciant de tout sauf de pédagogie ?
Les polémiques sur l’arbitrage font partie intégrante des expressions passionnelles sur le football, et il serait vain d’en imaginer la disparition – un rêve naïf que caressent beaucoup de partisans de l’arbitrage vidéo. Encore faudrait-il que ces polémiques soient maîtrisées par ceux qui les animent, ne deviennent pas endémiques et ne dégénèrent pas en discours haineux, désormais banalisés.
Car les polémiques arbitrales sont devenues, depuis longtemps, un contenu éditorial qui écrase les autres dans nombre d’émissions spécialisées, évitant à leurs protagonistes d’analyser tout ce qui fait un match – ce qui demanderait des efforts bien plus conséquents. Cette paresse intellectuelle s’accompagne d’un remarquable mépris pour les règles, vague corpus que chacun a recomposé à sa guise, sans craindre d’inculquer cette ignorance à son audience.
Ces controverses obsessionnelles ont aussi été transformées en élément du « spectacle » par la mise en scène télévisuelle des rencontres, qui organise le réexamen systématique de chaque décision peu ou prou importante à coups de ralentis (souvent au détriment du jeu qui se poursuit), inoculant aux commentateurs, puis aux téléspectateurs, un besoin maladif. Comble de l’absurde, même des actions qui n’ont abouti à rien doivent être passées sous ce scanner…
Il faut toutefois souligner des progrès sensibles au cours des dernières années. Vivant autrefois en vase clos, les journalistes de télévision sont aujourd'hui exposés aux réactions instantanées des réseaux sociaux. Perceptible, l’exaspération devant l’incompétence ordinaire a incité certains à se documenter, et à arrêter de répéter les sempiternelles idées fausses sur les règles. Plus rares, les âneries de ce genre sont aussi devenues plus insupportables. Par exemple lorsqu’il s’avère que la notion de main intentionnelle, pourtant essentielle, n’a toujours pas été intégrée par certains.
On retrouve d’ailleurs cette vision binaire (y a main, y a péno) dans tous les cas où des situations ambivalentes impliquent que deux décisions opposées sont aussi légitimes l’une que l’autre. En pareil cas, l’arbitre est acculé : son choix (c’est-à-dire son indispensable interprétation, par nature discutable) sera automatiquement requalifié en « erreur ». Cela dit à quel point la lettre aussi bien que l’esprit des règles sont méprisés.
Sur beIN Sports mardi soir, les commentateurs de Bayern Munich-Paris SG ont encore démontré leur faculté à inventer des erreurs arbitrales et à ne pas en démordre malgré l’évidence [1]. Lors de Lille-Toulouse ce week-end, Canal+ a présenté un énième « révélateur » de hors-jeu avec une ligne mal placée… Ce sont ces médias qui organisent le procès des arbitres.
Quand dérapages et aveux d’incompétence deviennent trop patents, la parade est toute trouvée, sous la forme d’un lieu commun très puissant : « Les arbitres français sont nuls ». Ils sont manifestement moins nuls que les spécialistes qui les critiquent, pourtant les premiers à marteler cette affirmation impossible à démontrer, mais très largement répandue [2].
Améliorer l’arbitrage est une nécessité, mais ce n’est évidemment pas le but poursuivi par ces procès, dont les procureurs sont mal qualifiés pour aborder le problème et se contentent d’instaurer un climat détestable. Leur flemme va aussi s’exprimer dans une promotion irréfléchie de l’arbitrage vidéo – qu’ils pratiquent, de fait, à longueur de retransmissions. Qu’on en fasse des arbitres vidéo, pour rire un peu.
L’entreprise de démolition des arbitres est une entreprise d’abrutissement des publics. La haine de l’arbitre est aussi une haine du football : au lieu de raconter, d’analyser et de célébrer le jeu, il s’agit de produire un ressentiment permanent. Les commentateurs-consultants en sont toutefois moins responsables que leurs dirigeants, qui tolèrent les dérives et font rois des démagogues néfastes. Les points d’audience gagnés ne compensent pas les points de QI perdus, et à plus long terme, tout le monde y perd.
[1] Certains commentateurs sont capables d’asséner des avis définitifs sans attendre de revoir les images, puis de voir ce qui leur chante dans ces images.
[2] Certains sous-produit de cette assertion sont pourtant démentis, comme la conviction que les arbitres français sifflent plus que les autres. Autre tartufferie majeure : le « manque de psychologie » reproché à des arbitres qui se font hurler au visage par les joueurs et pourchasser dans les couloirs par les entraîneurs et les dirigeants, avant d’être exécutés sur les plateaux de télévision.
Source : LE MONDE - Jérôme LATTA