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Des joueurs d'Evian protestent auprès de l'arbitre |
Publié le 21/12/2014 - Râler après l'arbitre, ça sert à quoi ?
Parce que l'arbitre se serait trompé, ils l'entourent, le défient, lui hurlent dessus. Sans le moindre espoir d'être entendus. Alors pourquoi les joueurs râlent-ils ? Eléments de réponse recueillis auprès des intéressés.
Ils sont incorrigibles. Les joueurs et les entraîneurs ont beau savoir qu’un arbitre ne revient jamais sur sa décision une fois qu’elle est prise, certains ne peuvent s’empêcher de la discuter, parfois avec véhémence. Contre Nantes (4-2 a.p.), mardi en Coupe de la Ligue, on a par exemple vu Albert Cartier exprimer plusieurs fois son mécontentement. Joint par SMS, l’entraîneur du FC Metz n’a pas souhaité s’aventurer sur le terrain de l’arbitrage - «Je n’ai rien à dire ou alors c’est aux arbitres que je m’adresse directement», nous a-t-il indiqué. Sur l'utilité de râler, il nous a quand même répondu de manière lapidaire: «(Ça ne sert) à rien.» Parce qu’il est impossible de faire infléchir l’arbitre? Ou parce qu’en plus de ne pas être entendu, le "râleur" s’expose à une sanction s’il dépasse la ligne?
Un manque de dialogue
«Certains se sentent agressés, ils répondent mal»
«Le problème, quand on essaye de discuter avec certains arbitres, c’est qu’ils se sentent agressés, qu’ils répondent mal, expose François Modesto. A partir de là, un climat malsain s’installe. C’est dommage parce qu’il y a des arbitres avec qui tu peux échanger, avec qui il est possible d’être serein.»
«Neuf fois sur dix, il n’y a pas de dialogue possible», exagère Lucas Deaux, qui a tenté vainement de dissuader M. Delerue de lui infliger un carton jaune, mardi, lors de Nantes-Metz en Coupe de la Ligue. «J’ai tenté de plaider ma cause, de lui expliquer que c’était ma première faute, qu’il n’y avait pas intention de faire mal, mais il avait déjà mis la main à la poche. A partir du moment où il avait pris sa décision, on ne peut rien faire contre ça…» Pourquoi, alors, s’y essayer?
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François Modesto discute, dans la bonne humeur, avec M. Delerue lors d'un match entre Bastia et le PSG. (L'Equipe) |
Mieux comprendre (et accepter) certaines décisions
Tous les joueurs ne réagissent pas de la même façon devant une erreur d’arbitrage. Et ce, même si l’arbitre reconnaît après coup s’être trompé. Il y a ceux comme Lucas Deaux, qui estiment que des excuses ne répareront pas totalement le mal. «Ça peut avoir de grosses conséquences, affirme le milieu de terrain du FC Nantes. Conséquences sur l’avenir du club, s’il reste ou non en L1. Conséquences économiques également. Ça peut aller loin…»
Et puis il y a ceux, comme François Modesto, qui ne se projettent pas autant. «Moi, je suis favorable à un dialogue, souligne le défenseur de Bastia. Si on reste correct, éduqué, ça fait avancer les choses. Moi, par exemple, je ne manque jamais de respect, je dis toujours "Monsieur".» L’ancien joueur de l’Olympiakos prend l’exemple de M. Desiage, qui n’avait pas sanctionné une semelle que lui avait infligé un Lillois la saison dernière. «Après, le match, il m’a dit : "Ah oui, je n’avais pas vu ça comme ça". On s’est serré la main et on en a même rigolé. Si l’arbitre ne voit pas, il ne voit pas. On ne va pas lui mettre quatre yeux!»
Parce que l'arbitre se serait trompé, ils l'entourent, le défient, lui hurlent dessus. Sans le moindre espoir d'être entendus. Alors pourquoi les joueurs râlent-ils ? Eléments de réponse recueillis auprès des intéressés.
«Le coach nous dit que ça peut se retourner contre nous, mais c'est souvent lui le premier à gueuler»
Dans la plupart des clubs, les entraîneurs font de la prévention. Du temps où il entraînait Rennes, Frédéric Antonetti rappelait souvent ses joueurs à l’ordre avant et pendant les matches. «Je leur disais: "Laissez tomber, ça ne sert à rien". On ne peut pas résoudre le problème de l’arbitre. Il faut rester concentré sur le jeu parce que c’est là qu’on peut résoudre nos problèmes.»
A Nantes aussi, Michel Der Zakarian met en garde ses joueurs. «On sait
qu’il y a des arbitres qui "cartonnent" plus que d’autres, souligne Rémi
Gomis. Avant les matches, il nous prévient que ça ne sert à rien de
discuter.» «Il nous dit que ça peut se retourner contre nous, mais au
final, dans le feu de l’action, c’est souvent lui le premier à gueuler
contre l’arbitre», poursuit Lucas Deaux dans un éclat de rire. Antonetti
reprend: «Le problème, c’est quand il y a une série de décisions
défavorables. Ça peut arriver et dans ces cas-là, ce n’est pas facile de
garder son calme.»
«Des grands noms peuvent se permettre de dire des choses»
Le
sentiment d’injustice de certains joueurs réside, parfois, dans la
sensation que toutes les équipes ne sont pas arbitrées de la même façon.
Modesto encore: «Ils ont une façon de se comporter différente en
fonction du club où tu joues, selon que tu sois un "grand" ou un "petit"
joueur. Il y a des grands noms qui peuvent se permettre de dire des
choses et qui ne sont pas sanctionnés alors que, si toi, tu dis la
moitié de ce qu’il a dit, tu te prends un jaune.» L’une des raisons pour
laquelle Antonetti a maintes fois milité pour une uniformité de
l’arbitrage. «C’est ce que je disais souvent à M. Layec quand il venait
nous voir à Rennes. Je prends l’exemple des mains: pourquoi c’est sifflé
une semaine à Evian et pas le week-end suivant à Paris? Le problème,
c’est que tout est une histoire d’interprétation...»
Autre regret formulé par Lucas Deaux, cette fois: la façon dont s’expriment parfois les arbitres. «Parfois, tu demandes juste une explication et tu n’as pas de réponse. Des fois, c’est même des "ferme-là, c’est moi qui décide". Après une passe ratée, j’en ai même entendu nous dire qu’on était nuls… Quand je vois leurs prestations chaque week-end, je me dis que ce n’est pas reluisant non plus.»
«Influencer les décisions futures» ?
Lucas Deaux n’est pas du genre à s’attrouper avec ses équipiers autour de l’arbitre à la moindre décision défavorable. «Je n’ai jamais compris les mecs qui discutent dix ans.» Après réflexion, il y voit tout de même un intérêt: «Lui mettre la pression pour influencer les décisions futures.» A Rennes, par exemple, Antonetti avait pris les devants en amont du déplacement des Bretons au Parc des Princes.
«Quand tu vois les mecs du PSG gueuler, les arbitres ont tendance à devenir plus fébriles...»
A Leonardo qui réclamait d’être arbitré «normalement» après un nul concédé par le PSG à Montpellier (1-1), il avait rétorqué: «Je suis d’accord avec lui. Mais sur toutes les décisions qu’il a citées, les arbitres ne s’étaient pas trompés, donc cela tombait mal. Tout le monde veut être arbitré normalement mais ce qui m’a gêné, c’est que j’ai l’impression qu’il en voulait un peu plus. Maintenant, je n’aimerais pas que ce match se joue sur une erreur d’arbitrage parce qu’il y aura eu ces déclarations maladroites. Ce serait grave. Mais je ne le crains pas.» «On avait gagné 3-2, mais ça ne nous avait pas empêché d’avoir deux expulsés», en rigole Antonetti aujourd’hui.
Au cours d’un match, François Modesto ne veut pas croire, en revanche,
qu’une forme de compensation puisse exister. «Ça serait grave», dit-il.
Naïf? «Moi je pense que ça peut, estime Deaux. Quand tu vois les mecs du
PSG gueuler, les arbitres ont tendance à devenir plus fébriles. Et
comme par hasard, après, les décisions tournent plutôt à leur avantage…»
Autre regret formulé par Lucas Deaux, cette fois: la façon dont s’expriment parfois les arbitres. «Parfois, tu demandes juste une explication et tu n’as pas de réponse. Des fois, c’est même des "ferme-là, c’est moi qui décide". Après une passe ratée, j’en ai même entendu nous dire qu’on était nuls… Quand je vois leurs prestations chaque week-end, je me dis que ce n’est pas reluisant non plus.»
La vidéo, la solution ?
Si nos témoins ne veulent toutefois pas accabler davantage le corps arbitral, c’est aussi parce qu’ils ont conscience que tous les moyens ne sont pas mis à leurs dispositions pour les aider. «80% des problèmes seront réglés quand il y aura la vidéo», estime par exemple Antonetti. Modesto le rejoint: «Je pardonne l’erreur d’arbitrage parce qu’aujourd’hui, ça va tellement vite… C’est difficile de prendre une décision en un quart de seconde.» Et d’ajouter: «Je fais partie de ceux qui pensent que ça s’équilibre sur une saison. L’an passé, on a marqué contre Saint-Etienne alors qu’il y avait hors-jeu de quatre mètres. Et a contrario, contre Lille, on marque deux buts qui nous sont refusés alors qu’il n’y avait pas hors-jeu… Imaginez tous les soucis que règlerait la vidéo!»
«Quand un arbitre fait une erreur, il n'est pas puni»Autre solution avancée par Lucas Deaux: équiper les arbitres d’un micro enregistreur. Il y aurait probablement autant d’erreurs d’arbitrage, mais au moins, cela pourrait favoriser un meilleur dialogue. «Aujourd’hui, c’est parole contre parole, regrette-t-il. Regardez l’affaire Chafni quand il a dit que l’assistant l’avait traité de "sale Arabe". Il y a deux versions, chacun prêche pour sa paroisse et le mec s’en sort sans dommage… Moi, aujourd’hui, si je suis arbitre, je dis quoi? Bah, je prends ma décision, c’est comme ça, tu fermes ta bouche, et je prends mon salaire… De toute façon, quand un arbitre fait une erreur, il n’est pas puni.»
Et le Nantais de poursuivre: «Il ne faut pas nous dire qu’ils ont des pressions, ils n’ont jamais de problèmes, ils ont des histoires bateau. On en parle pendant une semaine et après? Rien.» Sollicité sur le sujet, Said Ennjimi nous a renvoyé vers la DTA (Direction technique de l'arbitrage), qui nous a fait savoir qu’elle jugeait «inopportun qu’un arbitre de premier plan en activité s’exprime médiatiquement sur ce sujet». Comme quoi, il n’y a pas qu’avec les joueurs que le dialogue est parfois un peu difficile.
Source : L'EQUIPE