lundi, juin 08, 2015

SUISSE : Stephan Studer met fin à sa carrière avec le sourire...

Par Eric WIROTIUS-BELLEC archivé dans , , , , , ,

Publié le 08/06/2015 - Nouveau directeur de la Clinique de la Colline, Stephan Studer a quitté l’arbitrage au plus haut niveau, sans regret, sans blessure...

Le coup de sifflet, le dernier de sa carrière, s’est révélé péremptoire, chargé de souvenirs et d’émotions. C’est empreint d’assurances que Stephan Studer s'est mis, il y a huit jours, définitivement hors-jeu. Et dans la foulée de se renvoyer aux vestiaires, des larmes plein les yeux. Le Genevois a dirigé, au Stade Saint-Jacques de Bâle, son ultime partie au plus haut niveau. Comme le grand Marco Streller, mais contrairement au Bâlois, l’homme au maillot jaune a quitté la pelouse sans tambour ni trompette. Il s’en est allé sur la pointe des pieds, juste avec le sourire et le sentiment du devoir bien accompli.

Après vingt années de fidèle et de loyaux services au football, celui qui est depuis le 1er juin le nouveau directeur de la clinique de la Colline Hirslanden à Genève, s’est offert une jolie sortie au terme d’une rencontre de folie, marquée par sept buts et une victoire du champion (4-3) face à Saint-Gall. «Mais je pense que je réaliserais vraiment lorsque le championnat 2015-2016 aura repris», sourit le jeune retraité du sifflet, lequel a reçu de nombreux témoignages du milieu; il était apprécié. «Beaucoup de gens m’ont dit que j’allais leur manquer, cela fait plaisir à entendre», poursuit ce compétiteur qui n’a aujourd’hui aucun regret de s’arrêter aussi tôt lui qui n’a pas encore célébré ses 40 ans. «Quand vous commencez à arbitrer vous ne savez jamais jusqu’où vous irez», sourit le mari de Sonia, père de deux enfants (Damian et Selma/5 et 3 ans).






Stephan Studer, qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le rond central et tirer votre révérence déjà maintenant?

Cela fait deux ans que je sais que je ne sifflerai jamais plus des matches de Ligue des champions, que j’ai atteint un sommet et que je n’irai pas plus loin. J’ai le sentiment d’avoir fait le tour. Je pars au bon moment, sans regret, sans blessure, tout en haut plutôt que de commencer à descendre. En Suisse, entre la Coupe et le championnat, j’ai dirigé les pus gros matches. Je laisse donc la place aux jeunes. Je suis heureux de pouvoir relever un nouveau challenge professionnel.

Que vous a-t-il manqué pour aller encore plus haut et diriger des gros matches de Ligue des champions?

J’ai eu des opportunités mais lors des deux matches qualificatifs de Ligue des champions que j’ai sifflés, cela ne s’est pas vraiment déroulé comme il l’aurait fallu. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. De la chance au bon moment et peut-être un plus grand soutien au niveau suisse, ce que je n’ai pas pu bénéficier. Il faut surtout changer la structure et je ne parle pas d’argent. On doit permettre aux arbitres à un moment donné d’opérer un choix acceptable pour qu’il puisse s’investir pleinement dans cette fonction de directeur de jeu. Les conditions aujourd’hui ne sont pas celles d'un professionnel. Chaque arbitre, quel que soit son niveau, doit faire énormément de sacrifices. Ou il trouve un job qui lui accorde beaucoup de temps libres, histoire d’investir dans la préparation de sa saison ou de son match. C’est fou de penser qu’aujourd’hui les arbitres qui dirigent des rencontres de Super League où il y a des enjeux à millions, sont tous des directeurs de jeu qui se comportent de manière professionnelle mais dans des structures totalement amateurs. Cela fait 20 ans que c’est ainsi et qu’on se bat pour que cela change.

«Beaucoup de gens m’ont dit que j’allais leur manquer, cela fait plaisir à entendre»


Quels souvenirs conserverez-vous de votre carrière?

Ayant commencé à l’âge de 14-15 ans, j’ai forcément plein de souvenirs. J’ai tout d’abord arbitré des amis avec lesquels j’avais joué au foot au Grand-Lancy. Inoubliable. Puis il y a eu mon premier match de Super-League, mon pire en Challenge League et des frissons. Comme lorsque je suis allé à Liverpool comme quatrième arbitre. Mais également deux fois à Barcelone avec un but de Messi incroyable. J’ai pu aussi couvrir la partie d’ouverture de la Coupe du monde des M17 à Mexico, un Mexique - Corée sous une température de 50 degrés. Et ce Brésil - Italie à Genève avec des étoiles plein les yeux...

Est-ce qu’on siffle une faute à Messi ou à Neymar comme à un autre?

Vous vous habituez petit à petit et à partir d’un moment vous ne les voyez plus comme des stars. Si j’avais été impressionné au début par Gimenez et Rossi, du FC Bâle, la première fois que j’ai eu affaire à Neymar, Messi et Ronaldo, j’ai vite perdu ce regard féérique. Même si vous êtes parfois surpris des gestes de classe d’un de ces joueurs, où la puissante accélération de Cristiano, vous devez avoir une attitude professionnelle.

Au départ qu’est-ce qui vous a poussé à prendre un sifflet?

J’ai appris dans un journal qu’on cherchait des arbitres. Je me suis dit pourquoi pas. Pour moi c’était l’occasion de revenir au foot après avoir quitté le ballon rond pour la natation. J’ai rapidement mordu à l’hameçon, trouvant que c’était très passionnant. A 14 ans, c’était aussi l’occasion de gagner un peu d’argent. C’est ainsi que j’ai mis le pied à l’étrier.

Gamin, dans la cour de récréation, aviez-vous déjà l’âme d’un arbitre?

Non, j’étais plutôt un teigneux à vouloir shooter le ballon ou à me battre. D’ailleurs, quand j’étais encore joueur, je n’étais pas le plus facile à arbitrer! Cela m’a permis d’appréhender le football sur un autre angle. Quand vous êtes joueur, vous ne vous rendez pas compte de l’utilité de l’arbitre. Après, en passant de l’autre côté, vous comprenez la réaction de certains joueurs pour l’avoir été. Mais ce n’est pas parce que vous les comprenez que vous devez à chaque fois les accepter. Comme les simulations, même si j’ai l’impression qu’il y en a un peu moins. Je pense qu’on punit mieux les coupables. Mais pas encore assez fort après avoir revu les images. Le gars qui veut tricher, c’est trois matches de suspension. Après sur un contact, quand un gars cherche un penalty, c’est une question d’interprétation. Cela appartient au football et il faut l’accepter.

Y a-t-il des joueurs plus compliqués que d’autres à diriger?

Des joueurs comme Varela ont toujours été difficiles à maîtriser, après c’est comme tout. Au début, vous devez connaitre l’individu. Vous devez aussi vous faire respecter par vos compétences en trouvant d’entrée la bonne clé. Je me souviens de Serey Die quand il est arrivé d’Afrique à Sion. Ses trois premiers matches, je lui ai mis le rouge direct! Parce qu’il jouait dur, toujours au-delà des limites. Aujourd’hui, il est toujours aussi rugueux mais correct. Il y toujours des grandes gueules, des «bad boys», et heureusement, tant que cela reste dans un certains respect...

Avez-vous subi des pressions?

Cela m’est arrivé après un match un peu difficile qualificatif pour la Coupe du monde en 2010 entre la Bulgarie et l’Arménie. On avait fini avec huit cartons jaunes, trois rouges et un protêt de l’Arménie parce qu’on n’avait pas mis assez de temps supplémentaire. Sinon, au niveau de la corruption, je n’ai jamais été approché avant une partie. A l’étranger, on peut vous offrir un verre après le match, un maillot symbolique ou une bonne bouteille. Cela dit, il y a certaines règles. Certains cadeaux au-dessus d’une certaine valeur ne sont pas acceptés.

Qu’est-ce que l’arbitrage vous a-t-il apporté?

L’arbitrage est une très bonne école de vie, en terme de leadership et de management. Vous apprenez à gérer des hommes, à mener des gens, que ce soit les joueurs ou votre équipe. Vous apprenez aussi à subir la pression, à prendre des décisions et à communiquer avec les acteurs, le public et les médias. Et toutes ces compétences m’ont permis d’avancer au niveau professionnel et d’être là aujourd’hui ici à la clinique de la Colline, un nouveau challenge. Cela ne s’apprend pas à l’université. Je pense que l’arbitrage vous apprend beaucoup de choses, sans compter le fait de voyager, de découvrir différentes cultures et de rencontrer plein de gens. On découvre une certaine vision de la vie, une autre manière de penser et des langues!

Vous a-t-on menacé?

J’ai eu un jour un épisode douloureux à Lucerne où on a dû sortir du terrain sous escorte policière. Trente supporters nous ont couru après, mais on était bien protégé...

Et si c’était à refaire?

Si je devais recommencer l’arbitrage à zéro, j’y réfléchirai à deux fois car, aujourd’hui, dans les ligues inférieures et les juniors il y a une violence impressionnante. Je ne sais pas si j’aurais la force de subir ça. J’ai beaucoup de respect pour les ados qui le font aujourd’hui. Quand il y a 10 000 personnes qui sifflent vous n’entendez rien, si ce n’est un brouhaha. Tandis que là...

Y a t-il des clubs où vous n’étiez pas le bienvenu?

Que des présidents ou des directeurs sportifs se soient plaints, oui, comme partout. Mais en Suisse, on a l’intelligence de ne pas rentrer dans ce jeu. Sinon, vous n’arbitrez plus. Après, il y a des endroits où j’ai eu peu de chance. Pour moi, siffler Servette à la maison, je l’ai fait une fois et c’était une catastrophe. Je n’étais pas à l’aise avant le match et j’ai commis deux erreurs assez graves. Il est vrai qu’il y a certains stades où on a un peu moins d’affinité, où l’on connaît plus d’erreurs qu’ailleurs. Cela appartient aujourd’hui à l’histoire.

Source : LA TRIBUNE DE GENÈVE