Publié le 18/02/2015 - Nous inaugurons aujourd'hui une nouvelle rubrique, que nous appellerons à l'image de l'émission de FRANCE 3 "Nous les avons tant aimés". Il s'agit de vous faire découvrir ou redécouvrir à travers d'anciennes interviews et/ou reportages retraçant leur carrière, d'anciens arbitres, juges de touche, observateurs ou autres personnalités liés à l'arbitrage.
Nous espérons ainsi convaincre ou du moins essayer chacun et chacune, que l'arbitrage est une véritable école de la vie, et qu'il nous procure au travers de nos diverses expériences, et ceci quelque soit le niveau et le sport où nous évoluons, le plaisir indescriptible de sentir vibrer en nous la petite flamme du plaisir partagé et du devoir accompli.
Vous pourrez bientôt retrouver l'ensemble des articles de cette rubrique au menu principal du Blog (Colonne de droite).
Nous entamons cette nouvelle rubrique par une "GRANDE DAME" de l'arbitrage français, Madame Nelly VIENNOT, première femme à officier en LIGUE 1 et en COUPE D'EUROPE en tant qu'arbitre-assistant !! [Article paru sur LE POINT.fr du 27/12/2012]
Nelly Viennot : "Si j'ai réussi, toutes les femmes le peuvent !"
Du haut de son 1,52 m, Nelly Viennot est sans conteste la grande dame de l'arbitrage français. Pendant près de 13 ans, elle a enchaîné les allers-retours (arbitre de touche oblige), accumulé les matches et collectionné les records. Aujourd'hui, Nelly Viennot affiche un CV époustouflant : deux olympiades dont elle a arbitré les finales (1996 et 2004), 187 rencontres de Ligue 1 et environ 80 matches européens (Ligue des champions et Ligue Europa) ! Arbitre à part entière dans un milieu exclusivement masculin, elle a tout au long de sa carrière tenu la dragée haute à ses confrères. Première femme à avoir arbitré une rencontre de première division chez les hommes, elle a même été à deux doigts de participer à la Coupe du monde 2006. Mais ce qui aurait dû devenir une première mondiale s'est finalement transformé en douloureux souvenir. Pour un dixième de seconde à l'épreuve de sprint (60 mètres), elle ne sera pas du voyage en Allemagne. Pas grave, la toute jeune retraitée (50 ans) s'est imposée aux yeux de tous. L'ancien arbitre international Alain Sars, référence dans le milieu arbitral, la décrit d'ailleurs comme "une assurance tous risques". Un discours unanime, joueurs et dirigeants de club parlant - pour une fois - d'une même voix. Alors, Nelly Viennot, fierté nationale ? Oui, même Jacques Chirac le reconnaîtra en lui remettant les insignes de chevalier de l'ordre national du Mérite en 2006, quelques mois avant sa retraite sportive imposée par la limite d'âge (45 ans). Interview d'une pionnière, mais surtout d'une amoureuse du ballon rond.
Le Point.fr : Aujourd'hui, quand on parle de football conjugué au féminin, on évoque tout de suite les joueuses, l'équipe de France féminine, etc. Ce n'était pas le cas il y a 15 ans. Alors, pour ce qui est de l'arbitrage, comment en arrive-t-on à se lancer dans une aventure aussi improbable ?
Nelly Viennot : Par amour du football ! Et puis j'ai aussi été joueuse. À la fin des années 1970, à l'époque de la grande épopée des Verts, avec des copines, nous avons créé un club de foot dans le Calvados. Malgré mon gabarit, j'évoluais au poste de gardienne de but et nous avons même été championnes de France de deuxième division ! J'ai occupé tous les postes dans ce club : joueuse, trésorière, entraîneur et évidemment arbitre. En 1987, j'étais arrivée à saturation, mais je voulais rester dans le monde du football. Je suis arrivée à l'arbitrage un peu par hasard : un jour, le club a eu besoin d'un arbitre sous peine d'amende, alors je me suis dévouée. Ça m'a plu et, petit à petit, j'ai gravi les échelons. Ça s'est fait très naturellement.
Vous avez été la première femme à arbitrer à un tel niveau. Quels étaient les regards à votre arrivée ?
Au départ, ça a été un peu difficile. Pour tous les arbitres qui débutent, l'important, c'est de ne pas rater leurs premiers matches. Mais quand on est une femme, on a peut-être un peu moins droit à l'erreur, c'est vrai... Ensuite, par essence, dans notre métier, il ne faut pas en faire, donc ça règle le problème !
Aucune remarque désobligeante ou misogyne à votre égard ?
(Elle réfléchit) Très rarement. Il ne faut pas se mettre martel en tête non plus. Ce n'est pas parce qu'on est une femme qu'il faut en faire plus que les hommes. Il faut bien faire son métier, c'est tout. En cas de réflexion ou de réticence de la part de certains, cela donne de la force pour continuer à avancer. C'est un milieu où il faut persévérer et se blinder mentalement. Mais une fois qu'on a fait ses preuves et qu'on est entré dans le moule, on est parfaitement accepté et il n'y a aucun problème. Ça fait partie du jeu.
Aucun arbitre n'a donc jamais refusé que vous l'assistiez ?
Je savais que certains ne le souhaitaient pas. Mais quand j'ai arrêté d'officier, en 2007, ces mêmes arbitres sont venus me voir pour me dire que, s'ils avaient eu un regret dans leur carrière, ce serait de ne pas avoir pu arbitrer avec moi ! C'est flatteur et ça montre que quand le travail est bien fait les barrières tombent. Idem la première fois que je suis allée arbitrer à Rome. À la fin du match, le président de l'AS Roma vient me voir et me dit : "Madame, je n'ai pas regardé le match une seule seconde. J'avais les yeux rivés sur vous, de peur que vous fassiez une erreur. C'était une grosse bêtise de ma part, vous pouvez revenir quand vous voulez !"
Avez-vous la sensation d'avoir fait évoluer les mentalités ?
C'est un bien grand mot quand même... Mais quand je vois qu'après mon passage en Italie une femme a arbitré pendant deux saisons pleines en série A (première division italienne, NDLR), je suis très contente et ça me remplit de fierté. Il s'est produit la même chose en République tchèque et en Suisse. Ce sont de très bonnes choses et ça montre surtout que tout le monde peut y arriver ! Je ne suis pas une "superwoman". Avec de la persévérance, n'importe qui peut faire ce que j'ai fait. Et même mieux !
Comment expliquez-vous alors que, depuis votre retraite, plus aucune femme n'arbitre en Ligue 1 ?
Corinne Lagrange a continué quelque temps après moi, mais c'est vrai que, pendant ma période d'activité, pendant trois ou quatre saisons, nous avons été trois femmes à évoluer en première division. Aujourd'hui, il n'y a aucune arbitre en Ligue 1 ni en Ligue 2. Les jeunes ont du retard et c'est notamment dû au vivier d'arbitres moins dense chez les femmes que chez les hommes. À cela s'ajoutent les aléas de la vie, comme les grossesses. Après être tombées enceintes, elles sont rares à revenir. Ensuite, pour les femmes, le vrai problème, ce sont les tests physiques. C'est d'ailleurs cet aspect des sélections qui m'a coûté ma place lors de la Coupe du monde 2006. On exige de nous une condition optimale - j'avais d'ailleurs recours à un préparateur physique - et les temps à réaliser sont les mêmes pour tout le monde.
Quel regard portez-vous sur l'arbitrage français ?
Le métier se professionnalise de plus en plus et c'est une très bonne chose. Les arbitres français sont très compétents, les stages se multiplient, ce qui permet d'uniformiser les décisions. Pour autant, il ne faut pas oublier l'aspect humain de l'arbitrage. Il peut y avoir des jours avec et des jours sans. Il faut l'accepter. On admet bien qu'un joueur puisse rater une passe ou un tir...
Les sorties médiatiques en fin de match à l'encontre du corps arbitral sont légion ces dernières années. Dernier événement en date, la déclaration de Leonardo contre Clément Turpin à l'issue de PSG-Rennes.
Dans l'effervescence d'un match, les enjeux étant ce qu'ils sont, cela peut se comprendre...
Je pense qu'il faut réfléchir avant de parler et ne jamais réagir à chaud. Les dirigeants de clubs, entraîneurs et joueurs doivent comprendre qu'ils sont les vitrines et les exemples du foot français. Quand ils agissent ainsi, cela se répercute inévitablement dans le monde amateur. Sauf que, dans le foot amateur, les arbitres ne sont pas protégés de la même façon que dans le monde professionnel...
Il faut donc aider les arbitres à prendre de bonnes décisions. Que pensez-vous de l'arbitrage vidéo ?
La vidéo sur la ligne de but, j'y suis favorable, elle peut faciliter le travail des arbitres. Mais je pense aussi que l'arbitrage à cinq avec un assistant supplémentaire placé à la hauteur de la ligne de but peut s'avérer positif sous réserve que le cinquième arbitre n'hésite pas à prendre des décisions ni à parler à l'arbitre central. Ce système est bon, il faut juste un peu plus d'implication des assistants.
De toute votre carrière, quel est votre meilleur souvenir ?
C'est impossible à dire. À chaque fois, on me pose la question, mais il y a eu tant de rencontres que je n'oublierai jamais. Mon premier match en première division, évidemment (PSG-Martigues au Parc des princes en 1996), les deux finales olympiques, les rencontres de Ligue des champions, etc. C'est trop dur de n'en garder qu'un seul !
Le pire alors...
(La voix grave) Le match entre Strasbourg et Metz (le 21 décembre 2000, NDLR). Ça n'aurait jamais dû arriver (pendant la rencontre, un supporteur jette un pétard qui explose à côté de Nelly Viennot. Elle s'écroulera par terre en se tenant la tête et sera évacuée sur une civière. Le match sera interrompu et Nelly Viennot perdra 25 décibels d'audition à l'oreille gauche, NDLR). L'individu a heureusement été repéré par un stadier. J'ai porté plainte, il a écopé de 18 mois d'interdiction de stade et de trois mois de prison avec sursis. Je ne voulais pas qu'il aille en prison et j'ai continué mon métier.
L'arbitrage est-il désormais derrière vous ?
Absolument pas. Je viens de commencer une collaboration auprès de la commission régionale d'arbitrage de la Ligue de Lorraine. Je vais essayer d'apporter mon expérience pour développer l'arbitrage féminin dans la région. C'est un juste retour des choses. Et j'ai bon espoir de voir bientôt une femme arbitrer au plus haut niveau. J'espère de tout cœur qu'elle ira plus loin que moi !