Publié le 22/12/2014 - Football : pas d'arbitre français à l'Euro 2016 ?
Aucun arbitre français n'officiera en Ligue des champions en 2015. Pire, la possibilité qu'il n'y en ait aucun lors de l'Euro 2016, en France, se précise...
Le constat est sans appel. Pour la première fois dans l'histoire du football moderne, aucun arbitre français ne figure dans le groupe Élite, celui des meilleurs arbitres européens, établi à la suite d'un classement de l'UEFA, l'instance du foot européen. Si cette situation perdure, pas un seul arbitre de notre pays ne sera chargé d'un match de l'Euro 2016 prévu sur le sol hexagonal. Un véritable camouflet pour l'arbitrage made in France qui comprend plusieurs illustres figures comme Michel Vautrot, Gilles Veissière ou encore Joël Quiniou. Et il est d'ores et déjà acquis qu'aucun homme en noir français n'arbitrera au printemps prochain en Ligue des champions.
Le couperet est donc tombé. Les arbitres hexagonaux ne sont pas au niveau aujourd'hui de leurs homologues anglais, allemands, espagnols, écossais, néerlandais, portugais, italiens, suédois, serbes, hongrois, turcs et slovènes. Tous ces pays ont en effet au moins un représentant dans le groupe Élite. "C'est une situation provisoire", assure Pascal Garibian, le patron de la Direction technique de l'arbitrage (DTA), surnommé en interne "Allo l'AFP" pour l'ensemble des déclarations d'intentions et des communiqués qu'il délivre depuis sa nomination à l'été 2013. "Clément Turpin et Ruddy Buquet sont présents dans le groupe 1 UEFA (celui juste en dessous du groupe Élite, NDLR) et sont les plus jeunes à figurer dans cette catégorie. À ce rythme, ils seront présents dans le groupe Élite pour le prochain classement. J'ai confiance dans la réussite de nos jeunes arbitres. C'est un travail à long terme et on ne récolte pas immédiatement les fruits de notre travail. Il faut du temps."
Rendez-vous en juin 2015
Éric Borghini, qui dirige la Commission fédérale des arbitres - qui sanctionne notamment les hommes en noir sur le plan disciplinaire -, ne se veut pas alarmiste non plus, mais reconnaît que si le classement européen est inchangé dans six mois, il faudra vraiment s'inquiéter : "Je vous donne rendez-vous en juin 2015 pour critiquer notre bilan. C'est ce classement, délivré au printemps prochain, qui sera décisif et qui nous indiquera le vrai niveau de l'arbitrage français. Pour l'heure, rien ne sert de crier au loup !"
Peut-être, mais d'une part, nos jeunes arbitres français ne pourront pas officier sur un match de Ligue des champions pour le reste de cette saison et ne prendront donc pas d'expérience à ce niveau, d'autre part, un autre classement bien plus important, qui établira la liste des arbitres qui officieront à l'Euro 2016, tombera en octobre 2015. Clément Turpin et Ruddy Buquet auront donc peu de matches de C1 à l'entame de la saison prochaine (les choses sérieuses commencent en septembre pour la Ligue des champions) pour prouver qu'ils ont leur place dans l'élite européenne.
Aucune évolution
Par ailleurs, même si les critiques sont beaucoup moins vives qu'à l'époque où c'était la Direction nationale de l'arbitrage (DNA, entité aujourd'hui disparue) qui régissait les hommes en noir, elles demeurent présentes pour fustiger la politique actuelle de la nouvelle DTA. "On enchaîne les réunions stériles qui ne débouchent sur rien, les P-V d'assemblée sont inchangés et tout aussi lénifiants que ceux établis à l'époque de Marc Batta (l'ancien patron de feue la DNA, NDLR). Les méthodes de formation et de détection n'évoluent pas ou peu et on ne regarde toujours pas ce qui se fait à l'étranger," fustige Éric Castellani, ancien arbitre assistant international, qui a quitté la DTA cet été alors qu'il avait pourtant réintégré les instances nationales de l'arbitrage après un premier clash à l'époque où c'était la DNA qui tirait les ficelles.
Beaucoup de détracteurs dénonçaient la politique de l'ancienne direction de l'arbitrage français érigée par Marc Batta et Bertrand Layec, qui voulaient surtout "fabriquer" des arbitres "à cheval" sur le règlement plutôt que des hommes en noir qui sentent le football et qui ont un discernement plus subtil sur des faits de jeu litigieux. La grande réforme de l'arbitrage promise par Noël Le Graët, qui s'est manifestée par la nomination de Pascal Garibian et le départ de Marc Batta, avait donc été suivie d'un élan d'enthousiasme au sein de la caste arbitrale. Or certaines décisions arbitrales sur les terrains ont donné du grain à moudre à ceux qui disent que rien n'a changé. Le match désastreux de l'arbitre Nicolas Rainville lors du dernier Lens-PSG a montré que certains d'entre eux continuent à se comporter comme des pervenches avec le carton qui remplace la prune.
"Cercle vicieux"
Ce soir-là, M. Rainville a expulsé Edinson Cavani parce que ce dernier a mimé le geste d'un archer après avoir marqué en jugeant qu'il s'agissait d'une provocation à l'égard des supporteurs lensois. Cavani n'a rien d'un ultra du PSG haineux et il prend exactement la même pose quand il marque en Ligue des champions, sans qu'il soit sanctionné. Un manque de lucidité chez M. Rainville et une disproportion dans la sanction qui prouve qu'il applique peut-être bien les consignes édictées par la Ligue pour prévenir les heurts entre supporteurs, mais qu'il ne connaît guère le football. Sa présence parmi l'élite des arbitres français laisse donc perplexe.
Par ailleurs, certains joueurs comme le Bastiais François Modesto se plaignent également d'un comportement présumé insultant de certains arbitres et jettent le doute sur la probité de ces derniers. Les hommes en noir se montrent-ils de plus en plus nerveux et irrespectueux sur une pelouse ? Une thèse rejetée avec ardeur par Éric Borghini. "Tout comportement d'un arbitre contraire à l'éthique est inacceptable. Nous avons déjà sanctionné l'un des nôtres la saison dernière pour avoir dit Tu dégages à un joueur (M. Jochem lors du match Guingamp-Saint-Étienne du 11 janvier dernier, NDLR). Il a été relégué pour sa conduite. C'est la preuve que l'on ne laisse rien passer aux arbitres."
Le climat demeure néanmoins tendu entre les différents acteurs d'un match de Ligue 1 malgré les briefings d'avant-match entre capitaines instaurés récemment par la DTA. Et la faute n'incomberait pas qu'aux arbitres, pour Éric Castellani. "C'est un cercle vicieux. Les arbitres ne sont pas respectés par les joueurs du fait qu'ils manquent de prestance internationale. Croyez-moi, un footballeur ne s'adresse pas de la même façon à un arbitre qui a pris de l'assurance par sa grosse expérience en C1 et à un autre en plein doute et qui est encore tendre au niveau international."
Des arbitres plus carriéristes, moins passionnés
Selon Frédéric Arnault, ancien arbitre international français présent au Mondial 2002, cela traduit aussi une régression des mentalités dans le football français. "À l'image des footballeurs français qui voient davantage leur sport comme un métier avec des horaires de bureau plutôt que comme une passion qui débouche de facto sur des heures supplémentaires à l'entraînement, on dirait que l'arbitre est aujourd'hui surtout carriériste et se contente du minimum syndical dans sa préparation. L'objectif, c'est surtout de monter en grade et sûrement pas de devenir un arbitre qui sent le football." Surtout que le manque de volontaires dans ce métier très difficile atténue fortement la concurrence et conduit à un nivellement par le bas.
La crise de niveau que traverse l'arbitrage dans notre pays ne serait donc que la conséquence d'une politique de la Fédération française de football (FFF) complètement inadaptée depuis plus de huit ans. Gouverner, c'est prévoir, et, pour de nombreux spécialistes, les décideurs de l'arbitrage français ont raisonné à l'envers en 2006. Or c'est à ce moment-là que tout est parti de travers. Selon Frédéric Arnault, "l'ancienne Direction nationale de l'arbitrage (DNA) n'a pas su assurer le renouvellement de l'élite française des hommes en noir après le Mondial 2006 à la suite du retrait volontaire de l'arbitre Éric Poulat de la scène internationale. Derrière, la relève n'a pas été assurée. Or aucun autre grand pays européen ne s'est trouvé lésé après le retrait de son meilleur arbitre pour limite d'âge". Par exemple, après le départ de Pierluigi Colina, icône mondiale de l'arbitrage, l'Italie avait anticipé et préparé dans l'ombre les successeurs de ce mastodonte du sifflet. Nicola Rizzoli est aujourd'hui l'un des meilleurs du monde et est évidemment présent dans le groupe Élite UEFA en compagnie de Gianluca Rocchi.
"La continuité dans la médiocrité"
En France, Stéphane Lannoy, dernier pensionnaire du groupe Élite, n'avait pas le niveau requis pour occuper aussi longtemps une telle position, selon Frédéric Arnault. "Il a fait l'Euro 2008 comme 4e arbitre et les JO de Pékin 2008 comme arbitre principal et n'est pas retenu pour les JO de Londres quatre ans plus tard. Pourquoi ce désaveu ? Car, entre-temps, il fait une Coupe du monde 2010 désastreuse." C'est en effet Stéphane Lannoy qui dirige le match de premier tour Brésil-Côte d'Ivoire et qui valide le but de l'attaquant auriverde Luis Fabiano après que ce dernier a contrôlé deux fois le ballon de la main avant de marquer... Difficile dans ce cas-là de figurer dans le haut de la hiérarchie internationale.
"Ce que je ne comprends pas, c'est qu'il est maintenu par la DNA comme arbitre français numéro un malgré sa contre-performance en Afrique du Sud. Aucune remise en cause de la part de ses supérieurs. C'est la continuité dans la médiocrité : on n'a pas laissé la chance à un autre arbitre qui aurait pu se faire les dents alors qu'aucun gros tournoi de foot ne se déroulait en France à ce moment-là. La DTA le fait aujourd'hui en mettant sur le devant de la scène Clément Turpin, Ruddy Buquet ou Anthony Gautier. Oui, ils sont bons, mais encore trop tendres, et il y a un Euro 2016 organisé en France qui est imminent," poursuit Frédéric Arnault. Toute la pression repose désormais sur ces jeunes arbitres qui n'auront droit à aucun joker pour espérer être présents à l'Euro 2016 et diriger un match.
Source : LE POINT